Assise dans la chute immobile des heures   poèmes de Florence Noël éditions Bleu d’encre (2021,12 euros)

 

La poésie de Florence Noël relève du ressenti bien avant l’acte lyrique, de la participation humaine et de l’écoute avant l’absolue revendication.

Construite d’abord avec la mentalité propre d’une personnalité qui a des choses à dire en étant à la fois efficace, subtile et audacieuse dans le ton.

Sa plume très contemporaine exprime, notamment, le souhait d’un monde pensé autrement, ce qui la rend, entre autres, sensible à la Nature, ceci sans aucun des parfois clichés très convenus :

« Ce n’est pas l’heure des loups/pourtant nous sommes affamés/au-delà/ de la diffraction/ du cri »

D’un texte à l’autre, l’engrenage est particulièrement bien huilé aux mots pas savants pour autant. L’auteure est très consciente d’un monde qui était là bien avant nous et entend bien nous le rappeler :

« Soudain la bande-son des matins vibrant/ d’oiseaux affairés/ – l’appel de l’aube// tandis que le ciel éclot/ presque/ derrière les champs// et cette senteur meuble/ alliée au silence craintif/ quand se fait la clarté/ et que l’homme ouvre le jour// maître d’un monde/ qui le précède ».

Florence connait le miracle du surgissement qui la révèle en temps utile en même temps qu’il fait office d’offrande à autrui : « me tendras-tu l’âme/ à caresser doucement, /sur ma joue mon angèle /ton velouté tendresse/ à caresser doucement ? ».

La précision de l’effleurement s’exerce ainsi dans la lenteur émerveillée :

« C’est une histoire/ bruissante de frondaisons/ déchirées par les bois/ d’un cerf/ au trot leste/ un récit de peau/ rincée d’averses de pas/ aux rimes spongieuses ». On remarque ainsi la précision essentielle d’adjectifs choisis de manière à imbiber l’idée d’autre chose que celle proposée initialement (cf « spongieuses »).

Il y a chez Florence, et aussi dans ses autres ouvrages une maïeutique intéressante à se sentir femme-humaine de façon évidente : « ce que j’ai tant cherché/ elle l’a depuis longtemps/ élucidé/ celle qui dort en dedans/ de ma nuit impossible/ de clarté ». Ainsi la comprenons-nous bien quand elle précise : « mères nous bâtissons/ des cathédrales/ tactiles et sensibles/où vibrent les vitraux/ tissés d’ailes/ d’éphémères/ des autels où/ nos vies se versent dans/ les vôtres/ et puis s’oublient/…/ je redeviens alors/ efflorescence ».

Renvoyant les mythes à eux-mêmes, la poète peut se faire sauvage en temps utile : « loup/ enrubanne ton ombre/ à leurs chevilles/ sinue parmi les souffles gravides de peur// plante ton œil/ bille de plomb/ dans leur tête ».

Le bonheur d’être, chez la poète, est celui non de se vouloir monumentalisée mais compagne des vitraux laissant filtrer la lumière.

Avec la maîtrise d’un master en Arts visuels à La Cambre, Gwen Guégan a bien compris les « jours de sève de Florence » en illustrant les textes de façon très expressive rappelant d’une façon ou d’une autre l’écho intentionnel de l’auteure à exprimer une sorte d’éparpillement en fleurs et en fruits à partir d’un cri, voire d’un hurlement à peine contenu dans le dessin d’une louve humanisée. Fleurs et fruits qui souvent sont évoqués de concert avec des images d’enfance à partir de laquelle on semble assister à l’amplitude d’une évolution qui va ainsi amplifier la « matière toujours vivante » : « le mois des fleurs est volubile/ le lilas offre mille doigts/ mauves à nos stupeurs/ d’immobiles ». Stupeurs sans doute mais probablement s’agit-il de stupéfactions admiratives à vouloir être « Assise dans la chute immobile des heures ».

 

 

 

Patrick Devaux