Franca Doura Des cailloux et des hommes roman éditions complicités (2023,86 pages, 14 euros)

Ce roman qui se préoccupe du vécu le plus quotidien avec cependant parfois des références littéraires fortes, est écrit comme une suite de nouvelles où s’active Nell évoquée en situations où l’étrangeté côtoie parfois le drame : « Le choix de Gaspard d’en finir avec la vie à 27 ans laisserait Nell dans un grand désarroi, une défiance à l’égard de son propre avenir ».
La protagoniste aura sa vie transformée à partir d’une lecture de L’essai sur la journée à réussir de Peter Handke.
Mais qu’est-ce donc une « journée réussie », la question essentielle se révélant à partir d’un caillou faisant office de marque-pages au bon endroit du livre, au bon moment ?
On peut être ainsi dans l’intrigue de l’objet ce qui, en poésie, me ferait penser, par exemple, à Francis Ponge.
Avec l’évolution du roman, c’est bien également le sens donné à l’observation pour révéler l’écriture qui prend tout son sens, l’auteure étant en quelque sorte davantage motivée par la perception que par l’évènement, donnant une idée d’une « journée réussie », qui serait comprise peut-être dans l’idée d’autrui, chacun pouvant y donner un sens différent.
Ne serait-ce pas là, en quelque sorte, une maïeutique du bonheur avec « cette manie de prof de vouloir éveiller chez les plus jeunes le goût de la réflexion avec le prétexte de leur éviter ses propres lenteurs et erreurs » ?
« L’instant improvisé » n’est-il pas en définitive réussi ? L’auteure donne ici du sens à la fois à la vie et au questionnement qui peut y mettre fin et, parfois, par choix délibéré, laissant aux autres la question du « pourquoi » (« L’énigme de la décision irréversible, de la folie, comme pour la plupart des suicides, demeurera à jamais ») tandis que les mots, tels des cailloux posés se font passages de témoins.
Rythmée, l’écriture de Franca Doura est très personnelle et agréable à lire entre petites causes, grands effets à partir de moments improbables, à partir de rencontres fortuites.
Outre le moment réussi, l’auteure induit, parfois avec un certain humour, l’acte réussi, la rencontre réussie et même si son questionnement est ou non réussi : « A quand remontait sensation aussi agréable, à quand un baiser réussi ? »
Voici, en tout cas, un roman réussi dans lequel l’auteure donne sa propre vision d’une « écriture réussie » … vision à découvrir dans ces pages !

Patrick Devaux