Francis Cornerotte et Guy Denis, Gérouville, Village de Gaume, éditions Noire Terre, 2020, 378 pp, 30 €

Un superbe album de par les photos de Francis Cornerotte et les textes de Francis Cornerotte et Guy Denis. Il convient de saluer bien bas une telle initiative, aidée par la province de Luxembourg et d’autres organisations régionales. Il serait à souhaiter que beaucoup d’autres communes de notre Wallonie trouvent des artisans et des soutiens qui permettent ainsi de les défendre et de les illustrer. Bien sûr, Wallonie est terre d’accueil et de liberté, mais elle ne peut l’être qu’en maintenant et en célébrant bien haut la mémoire de tous ceux qui ont été à la base de sa richesse et de ses traditions.

Un mot d’abord des deux auteurs: Francis Cornerotte est né à Pétange le 23 mars 1953, de parents originaires de Gérouville. Son père avait émigré à Athus pour y chercher du travail.  Francis anima pendant plusieurs année un centre culturel à Aubange.  Graduat en Beaux-Arts à Saint Luc à Liège. Travaille à l’arsenal de Rocourt après avoir appris la peinture de bâtiment. Engagement dans l’action sociale, création d’une association de photographes, Priorité à l’ouverture. Nombreuses expositions. Anime toujours l’association Ouverture. Nombreuses créations artistiques.

Guy Denis, lui, né à Uccle en 1942, a derrière lui une longue série d’activités les plus diverses: écrivain, poète, auteur de théâtre, titulaire de nombreux prix, Il est connu sous le surnom de Capiche (fourmi dans certaines régions de Wallonie, dans d’autres c’est: copiche), il a été et reste un important animateur culturel. Il fut l’un des fondateurs du Service du Livre luxembourgeois, et de la revue Wallons nous? Il a été président, et est actuellement vice-président de l’Académie luxembourgeoise.

Ce qui frappe dès l’abord, dans les photos de Francis Cornerotte, c’est la priorité absolue accordée à l’humain, et plus particulièrement à l’enfance et au vieil âge. Qu’il s’agisse de photos de sa famille, de vieilles photos de mariage remarquablement mises en valeur, qu’il s’agisse même de paysages, et ceux de Gérouville sont bien remarquables, la présence humaine y est toujours sensible: combien de jeunes à vélo ou en moto…et chaque fois il a su saisir, à la seconde précise, sur un visage de petit garçon ou de fillette, la naissance d’un sourire, l’ébauche d’une grimace…Et puis, ces photos de travailleurs, d’artisans, de vieillards sur les lieux de leur travail. Visages usés, ratatinés, creusés par le travail et la fatigue. Bûcherons à pied d’oeuvre, forgerons, jardiniers, . Tous ces visages qui vous attendent, au seuil de leur atelier, à l’entrée de leur jardin, ménagères dans leur cuisine. C’était la tradition autrefois, quand vous rendiez visite à un vieil oncle, après avoir pris le café et la tarte, il vous menait « voir le jardin ». C’est qu’un jardin, voyez-vous, ce n’est pas un vague lieu-dit, c’est un être vivant, animé. Tant d’heures passées à le soigner, à observer, jour après jour, ses métamorphoses, l’excès de pluie, la sécheresse, les cruwôs (mauvaises herbes), ses parasites, les doryphores, calamité d’après-guerre, à croire qu’ils suivaient les armées. Tant de sueur, tant de fatigue, mais tant de joies aussi, et de fierté…Et puis, bien sûr, les distractions, la musique d’abord, qui jouait un rôle très important dans toutes les fêtes, les courses, et les plaisirs de gueule, avec les recettes lorraines traditionnelles, le pâté gaumais, la toufâye. Les courses à pied, en vélo. Oui, il reste encore bien de beaux jours à Gérouville.

Et puis, les photos de paysages, superbes, dans leur dépouillement parfois, sous la neige, ou bien dans les vallonnements des cuestas gaumaises. Et avec les marques du travail des hommes. Mais le clou, ce sont les photos du château de La Soye, siège d’artisanats multiples, aux 18e et 19e siècles: moulins, fonderie de canons, scieries (l’origine du terme: la souïe, c’est une scie). Nostalgie des savoirs perdus.

Le village a été fondé par les moines d’Orval, qui lui ont donné une forme particulière, en plan carré, autour du bloc formé par l’église et le cimetière. Le village jouit des libertés prévues dans la Charte de Beaumont (en Argonne) dès le 12e siècle. Il fut détruit par les Croates, au temps des guerres de Louis XIV. Las paysans sont loin d’avoir toujours eu la paix, ils comptent parmi les plus fréquentes victimes des guerres…

Mais je cause, je cause, au lieu de laisser parler nos bons auteurs. Ecoutons-les donc, Guy Denis d’abord:

L’écriture comme la photographie se conjugue au passé composé ou au passé simple, puisqu’elles évoquent toutes deux soit le passé récent ou le présent saisis dans l’instantané de son surgissement qui verse aussi vite dans le passé; soit un prétérit lointain, par exemple d’une enfance et dans ce cas la mémoire est toujours une mémoire à trous, ne retenant du lointain passé que les moments forts, tristes ou joyeux et oubliant la monotonie des jours et des nuits, l’ennui du quotidien. Cependant les photos de Francis Cornerotte passent cet obstacle, en montrant les hommes et les  femmes au travail, dans les champs, la maison, la forêt. Bûcheronnages, fenaison,  préparations des plats, lessives, ces gestes qui construisirent une enfance et une vie et que toutes et tous, nous vîmes s’accomplir dans nos enfances, comme des rituels ou des rites immémoriels et immuables,..depuis…nos ancêtres les Gaulois.

et puis Francis Cornerotte:

Je suis du pays des trappeurs et des trappistes

des tailleurs de pierre et des tailleurs de pipe

des fondeurs de la vallée

et des sabotiers sur les hauteurs de Lime

Je suis fils de paysan et de charretier…

du pays des crâneurs et des cramiques

du pays des abbayes et des abbés

mais je ne me crois plus à l’abri des crucifix

(…)

Je revois les maisonnettes fleuries, le préau

Les murs de la communale blanchie à la chaux

Les chantoirs, les lavoirs, les usoirs

où l’on usait nos culottes à jouer aux billes

ou à la marelle avec les filles

Je nous revois aller à la maraude aux reines-claudes

dans les vergers de Roger

(…)

Je suis du pays de la sphère de bois et de la taille

Pays des étouffées et de la touffaye

et de la plate de Florenville

que l’on cuisinait au saindoux

Pays de la tarte aux pommes ou à la vanille

et quand j’avais cinq sous,

j’allais à la populaire

acheter du réglisse ou des bâtons glacés

Paradis de mon enfance et des bandes dessinées empruntées à la bibli

Pays des grandes sauterelles vertes et des grillons cachés

dans les fourrés

Des pique-niques sur les murets

De la cueillette aux framboises

Du bolet cueilli en forêt

avec la Françoise

Avec un grand merci à tous les deux pour cette bolée d’air frais, pour les odeurs, les senteurs et les belles images

Joseph Bodson

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