François Degrande, L’ombre d’une racine, roman, éditions MEO (2023,21 euros)

Le poète, musicien, auteur-chanteur-compositeur et enseignant François Degrande signe ici son premier roman.
Hiver 2002. Le pétrolier Prestige lance un appel de détresse non loin du Cap Finisterre. Une gigantesque marée noire souille gravement les côtes de Galice.

C’est là qu’habite Santos. Il vit dans un ancien moulin avec sa compagne Lucia. Lui est professeur de littérature hispanique à l’Université de Santiago. Le couple voudrait un enfant pour remplir la maison et leur vie.
Cet enfant, Santos le découvre, niché dans un couffin et surveillé par un chien, abandonné sur les rochers noircis par la marée. Rencontre providentielle ou début d’un cauchemar pour ce bénévole nettoyeur de mer ?

Au fil de la lecture du roman, d’autres facettes du protagoniste se dévoilent. Différentes versions des faits vont se côtoyer et faire chavirer les certitudes initiales du lecteur. Laquelle croire ? Celle où Santos, en prison (2005) raconte son enfance et sa jeunesse à son avocat ? Une autre qui semble épouser la ligne chronologique contemporaine du naufrage (2002) ? Ou encore, la narration confuse et arrangée, destinée à la préparation de la plaidoirie ?
On se rend compte ainsi que Santos se crée son propre personnage de fiction et qu’il réinvente sa vie. La vie d’un homme aux inclinations à la mythomanie, d’un rêveur aux croyances ancrées dans les légendes celtiques, incapable en tout cas de se plier aux contraintes de la réalité ? Tout le monde dit cela de lui et lui-même le confesse.
On pourrait le croire engagé, de gauche, ou anarchiste, antifranquiste, anticlérical et anti-Guardia Civil. Les nombreuses évocations historiques et politiques, concernant l’Espagne de Franco et l’Argentine de Videla, qui tapissent le récit, permettent de le penser. Et pourtant, l’essentiel à retenir de ce livre est sans doute ailleurs, dans une tentative, particulièrement hasardeuse, d’exprimer l’insaisissable mystère de la vie, toujours voisine de la mort.
La continuelle mouvance du flux narratif, la débordante fantaisie créative, le surgissement d’une poésie à la fois belle et singulière laissent au lecteur l’étrange impression d’avoir été mené en bateau ivre dans une folle tourmente.

Martine Melebeck