François Salmon, « Les Contes du grand Chronophage », Merlin, Déjeuners sur l’Herbe, 2023, 52p. (18€)

Une véritable panoplie de désirs
L’idée de départ de François Salmon est de partir d’un tableau ancien pour élaborer une nouvelle issue de l’image peinte. Ensuite de l’étendre à d’autres œuvres conservées soit à l’Artothèque de Mons, soit au musée des Beaux-Arts de Tournai.
La première œuvre, « Scène de carnaval » du XVIIe, a engendré un personnage qui s’intègre dans le titre puisqu’il s’agit d’un homme marchant sur des échasses et nanti d’un couvre-chef en forme de sablier. Ce personnage singulier va profiter du confinement provoqué par la première grande pandémie de covid. Il n’a rien trouvé de mieux que de dévorer quelques œuvres conservées dans le musée, à commencer par celle dans laquelle il est peint.
Cette donnée du genre fantastique va donc justifier les nouvelles suivantes. Elle constitue le premier désir : celui du chronophage désirant s’attaquer au temps, à la durée d’existence des œuvres de jadis. Du coup, les suivantes délaisseront cette dimension liée à l’étrange pour s’introduire dans le quotidien.
Une « Natures mortes aux pêches et à la mandoline » engendre la vie d’une musicienne qui répond au désir du roi d’Espagne d’avoir une composition qui lui rende hommage. Désireuse de satisfaire son mécène, elle invente un air sublime repris par tout un pays. Après la mort du souverain, son fils éprouve le même désir. Impossible d’y parvenir si la personne sollicitée n’en a pas envie et de quelle façon y arriver constitue tout le sel de cette deuxième nouvelle.
Peint par Jordaens, « Le Satyre et le Paysan » sert à illustrer l’aspiration à une amitié durable entre des êtres peu compatibles. Une statuette gallo-romaine de « Vénus » cumule les désirs d’être couronnée miss beauté en espérant « La pomme de Discorde » que Paris lui offrira en aspirant à l’amour d’Hélène de Sparte juste avant la guerre de Troie.
C’est la voracité, à travers le lien qui unit « Don Quichotte et Sancho Pança » peints par Allard L’Olivier, que le valet satisfera avec gloutonnerie en bernant son maître grâce à l’aspiration que celui-ci a d’en découdre avec les méchants. De son côté, Dirk Bouts, fasciné par le portrait du Christ préparé grâce à ses assistants, aspire à consoler ce martyr couronné d’épines et se met en quête de trouver le moyen de faire sortir de son pinceau les larmes surgies de ses yeux. Enfin, Pierre Brueghel l’Ancien se souvient d’un oisillon que, tout gamin, il aspirait de sauver après qu’il avait échappé à un matou vindicatif. À force d’obstination, il y parvient en apprenant un petit refrain sifflé à ce merle miraculé. Il le retrouvera quelques années plus tard, lorsque, adolescent il connaît le désir que lui inspire Margareta, l’attirante fille du bourrelier.
Voilà donc une brassée de contes, tels qu’on en racontait autrefois quand la télé ne dévorait pas les soirées. Bien à propos pour qui désire, au présent, retrouver un peu de cette tradition, tout en savourant le plaisir de regarder la reproduction, entre les pages du livre, des œuvres d’art dont il est question et en trouvant de quoi alimenter sa perception dans les dessins épurés de Chawa qui reprennent le détail ayant alimenté les mots de Salmon.

Michel Voiturier
Présentation du livre de François Salmon le jeudi 7 décembre 2023 à 18h au Musée des Beaux-arts de Tournai (Enclos St Martin) au milieu des tableaux d’Allard L’Olivier, Jordaens, Brueghel prétextes à l’écriture. L’auteur en fera une lecture musicale accompagné par Pierre Roekens et sa ribambelle d’instruments. Entrée libre.