Françoise Houdart, Jean-qui-vole, récit , La Roulotte théâtrale, 108 pp, 15 €

Un récit, oui, un récit d’enfance, comme l’indique assez cette belle couverture aux vives couleurs. Mais un récit qui tient un peu à la réalité, une réalité déjà abordée par Françoise dans son beau livre  Victor Regnart,, le peintre des courettes boraines.

De plus, il ne s’agit pas, ici, d’un récit de vie à la première personne. Ni du récit fait par un comparse, comme dans le Grand Meaulnes. Une sorte de récit à la seconde personne du singulier. Non, c’est elle qui s’adresse directement à son personnage, ce petit garçon qui a tout, ou presque, contre lui, puisqu’il a perdu sa mère à sa naissance, et son père quelques années plus tard. C’est un procédé difficile, car on court le risque de tomber dans l’afféterie, dans le pathos. Le risque de quitter ce dialogue entre l’auteur et son personnage, parfois pressant, parfois angoissé, ou plein de pitié, de se retourner vers le public/lecteur, pour lui faire un signe d’intelligence, rejetant ainsi le personnage dans un ailleurs qui serait une sorte d’écorché vif dans une leçon de chirurgie, ou de modèle mis à nu dans une classe de dessin. Non, quand elle lui parle, c’est avec infiniment de pudeur et de délicatesse, de tendresse aussi – comme une autre mère, pleine de sollicitude et de bienveillance, ce qui n’empêche nullement la clairvoyance. Tout ceci a pour résultat de rapprocher assez vivement le lecteur et le personnage, ce dernier devenant ainsi, par la vertu du bildungsroman  du roman d’éducation, une sorte de double du lecteur, amené ainsi à revivre, réévaluer sa propre histoire, l’histoire de son enfance.

Mais cela se fait sans la moindre lourdeur, sans didactisme excessif, les épisodes se succèdent de façon très souple et pleine de naturel, les personnages secondaires sont traités avec beaucoup de soin. Et puis, élément essentiel également, les paysages naturels, cadre du métier et de la narration, sont en parfaite harmonie avec le récit. On y sent passer l’amour d’une région, d’un genre de vie simple et tranquille – mais pas toujours – le cadre aussi d’une époque, celle des cinémas de quartier, des caramels multicolores et de l’exposition universelle.

Et tout cela mis ensemble, c’est la touche, la signature de Françoise Houdart. S’il fallait lui donner un nom, je dirais: la tendresse. Tendresse envers son personnage, tendresse envers son Borinage natal,, tendresse, envers et contre tout, envers ce monde dans lequel nous vivons

Malheur, oui, nous y voilà. Car malheureux, tu l’étais au fond de toi. Ta liberté te manquait, celle de courir avec tes potes à travers le labyrinthe des ruelles et des chemins sans jamais présager où tes pas te portaient, celle de courir seul à perdre haleine, à travers la prairie derrière le jardin jusqu’au hameau du Noir Pignon et au-delà; la liberté d’inventer la vérité qui te convenait ou de la retourner comme un chandail souillé, et avant tout, celle suprêmement enivrante à ton jeune esprit, de désobéir….Oui, c’est vrai, notre monde d’aujourd’hui manque grandement de tendresse…

Joseph Bodson