Françoise Lison-Leroy,Diane Delafontaine, Les blancs pains, poèmes, Esperluète éditions, 2019.

De courts poèmes en prose, où chaque mot pèse son poids de sève et de sang, où rien n’est laissé au hasard, et que les illustrations de Diane Delafontaine épousent merveilleusement, un pied dans le rêve, un pied dans la réalité.

A sa tante morte,en un langage très allusif: Tantine. Je connais ton secret.Tu es l’enfant d’une fièvre et d’un rosier grimpant.

La silhouette tapie dans le blé de décembre. Tu portes un prénom sage, une robe ajourée. Tu nous écris sans encre, dans le grand noir et blanc.

C’est qu’il existe, bien sûr, une franc-maçonnerie des gens simples, et particulièrement de ceux de la campagne. Ce que l’on met, trop facilement, sur le compte de la lenteur d’esprit, et qui est né du contact avec les choses essentielles. C’est que les mots, comme toutes choses de nature, ont besoin de temps pour mûrir, et porter fruit, et former mémoire.

La nuit s’éveille entre tes pages // Tu l’attrapes à deux mains. Elle est ce moineau vif aux yeux noyés de songes. La nuit, comme l’oiseau. Un être vivant, inséparable. En nous, et à la fois autour de nous. Nous en venons, nous y retournerons. Il y a, entre elle et nous, bien de secrètes connivences. Tu nous écris de loin, de ce temps qui s’épanche et se vide. Il te reste un crayon trouvé dans l’atelier. Ce que tu sais de nous renaît entre tes lignes. Nous l’avions oublié, en emboîtant le pas à la marche du monde. Trop pressés. Trop serrés. Asservis au passé. Comme si elle s’était .un moment absentée, pour vérifier quelque chose. L’éternité n’a nulle hâte,  elle sera tôt de retour.

Et le récit de poursuivre son cours, de ramintevances en souvenirs pieux. Au sens premier: bons, sans l’ombre d’une méchanceté.Et ces petits riens, cette apparence de détails, voilà que chacun d’entre eux prend son importance, et nous aimante. Langue des limbes, celle du non-lieu. Et pourtant, nous découvrons bien, en ces restes millénaires, sous la tourbe ou les glaciers, des fonds de poche préhistoriques, qui nous en disent beaucoup. Economie paysanne: rie ne se perd, rien ne se crée. Rien ne se jette, non plus. Tout fait présence, comme la respiration ténue montant des hauts fonds de la terre. Et tous nous sommes chaînons de cette chaîne.

L’histoire commence par la nuit. Il y a toujours un matin qui survient, petit faune épinglé dans le vaste tableau. On le voit jeter l’ancre vers nos rives, cavaler sur un arc qui n’a pas de blason. Il tire après lui un ruban promeneur (p.21)

« Elle fait ses blancs pains » Qu’avais-tu à offrir dans l’au-delà? Ton départ forçait l’évidence. Tes mains happaient les draps avec fébrilité, pétrissant l’ocre de la mort. Tu les ramenais vers ta bouche, les repoussais en cadence. Tes frères rentraient de l’école. On les envoya jouer dans l’étable. Ils revinrent, silencieux, imposer leur chagrin et le sceller à d’autres.  (…)

Ton père fabriqua le cercueil. L’atelier résonnait de détresse et d’amour. Au loin, chacun savait que le menuisier avait lui aussi perdu sa fille. Le secret se murmurait en patois, en français, en sanglots. Une question lui répondait, vacillante et noire. La menue caisse ornée de  dentelles entra dans la chambre On t’ y installa pour toujours. Neigeuse. Désarmée.

Que dire encore, par la suite? Tout simplement, que nous sommes tous de la même cordée. Et Françoise le dit simplement, avec nos mots de tous les jours. Car la mort, elle aussi, est quotidienne:

Ta lettre fugue à travers champs, bourgs et cités. Même l’océan ne la bride pas. Me voilà sans voix, à l’autre bout du livre. Je confie tes mots à ceux de ma cordée, comme on souffle un secret de haut vol à des passereaux sans terre. Il suffit de garder le silence.

Joseph Bodson