Frans De Haes, Au signe du seul vivant, poèmes, Le Taillis Pré, 2015.

Un titre assez énigmatique, qui semble comporter des consonances religieuses (Toi seul es saint…), et des images elles aussi, parfois, assez étranges, et souvent contrastées. Contraste entre un style poétique, aux métaphores recherchées, éblouissantes, diaprées, et le langage du tout venant, le style on ne peut plus familier.

Le titre reviendra d’ailleurs en leitmotiv, dans différents poèmes, prenant des colorations diverses en fonction du contexte. Ainsi p.12:

Se taire au signe du seul vivant/dans la forêt humide du val d’or/sous ciel lavé l’ancien et le neuf/disent joie de la pierre blonde//Oui se taire au signe du seul vivant, et puis p.21: Signe du seul vivant: ouvrez//un cri jaillit des tects et des soues/la terre est déchirée de fleuves, levant des images apocalyptiques, et encore p.27: Et c’est comme la foudre    le vieux monde tombe/peu de temps encore et le ciel se déchire/     pain     corps/temps réel du verbe/au signe du seul vivant il s’ouvre. Il y aurait là place pour une étude thématique approfondie. C’est comme une éclaircie, parfois, une aube improbable au milieu d’un cataclysme, une rose sauvage apparue dans le fouillis d’un monde en décomposition, où les termes minéralogiques se mêlent aux termes de l’anatomie.

On songe à l’Eve de la cathédrale d’Autun se glissant comme une vouivre parmi les feuillages pour surgir les yeux ouverts à la lumière.

Tandis que l’on trouve, p.30: (moi   lo’ish pas-homme je/nourris les cochons/comme s’ils étaient des hommes/et me tais au signe du seul vivant.

Il y a ainsi chez lui, assez souvent, une sorte de systole/diastole: une subite embellie, et puis de nouveau le monde qui se défait. Un déclic soudain produit – au signe du seul vivant – et c’est le seul signe, le seul moment d’une vie vraie en plein cauchemar. Une constante opposition de termes nobles et de termes familiers, d’images rassurantes et d’images cruelles. A la page 59-60, le latin intervient, qui éclaire, sacralise, en une sorte d’ondoiement, de cérémonie nocturne, en contraste avec des scènes d’une lubricité violente: griffes, baisers dans la bouche, écorchures, traces d’ongles. Des images récurrentes elles aussi: les abeilles, le sumac. Images de lumière, et puis ressurgit l’entre/antre, avec toutes ses ombres.

Une poésie tourmentée, fascinante.

 

Joseph Bodson