Frédéric Saenen, « Camille Lemonnier, le ‘Zola’ belge », Bruxelles, Académie royale de Belgique, coll. L’Académie en Poche, 2019, 102p.

Comparer sans preuves n’est pas vérité
De tous temps, il est coutumier de comparer un créateur à un autre. C’est souvent une solution de facilité qui permet d’esquiver une analyse plus complète. Bien sûr, des affinités existent entre littérateurs, des influences se glissent, des thématiques se révèlent similaires. Mais un artiste à la personnalité marquée reste unique, par conséquent incomparable.
À propos de « Lemonnier = Zola », Saenen, en enquêteur minutieux, traque les indices qui attestent de l’apparition, de la continuation, de l’assertion de cette affirmation. Il démontre combien cette analogie s’est répandue, reprise ici et là et, finalement, s’est vue confortée, à cause de son utilisation par les partisans comme par les adversaires. Il fait surgir le malentendu que cela génère.
Bien sûr, Zola comme Lemonnier, écrit des œuvres qui se penchent sur la réalité vécue des personnages qu’ils romancent. Tous deux se retrouvent inévitablement dans le courant baptisé ‘naturalisme’. Sauf que le Français a théorisé en quelque sorte sa démarche et qu’il a structuré la parution de sa fresque monumentale en vingt volumes des Rougon-Macquart; que le Belge, lui, va au gré des sujets qui l’inspirent.
Le lecteur découvre ici des documents peu connus prouvant la distance existant entre ces deux écrivains qui ne se sont pas vraiment fréquentés, qui avaient une certaine admiration réciproque mais mâtinée d’esprit critique sur fond de rivalité non ouvertement déclarée. Ce que Saenen résume par le titre d’un de ses chapitres : « Deux titans dos à dos ». D’où sa conclusion que l’appellation comparative reprise dans le titre de son essai, au lieu d’éclairer un lecteur potentiel, « contribue davantage à occulter Lemonnier » et « accrédite si besoin en était encore l’importance de Zola, devenu pour le coup la figure monopolistique et agglutinante de toutes les facettes du naturalisme. »
La confrontation entre les deux productions littéraires est éloquente quant aux différences. Zola est romancier urbain, Lemonnier périurbain. Le premier construit un panorama, le second se cantonne dans l’intimisme. Et ainsi de suite : ethnographe><peintre, pathologiste><portraitiste… Ainsi, le travail de Saenen est une façon de nous inciter à relire les deux auteurs, à tout le moins notre Lemonnier et le remettre à sa véritable place dans l’histoire de notre littérature.
Michel Voiturier