Gabriel Ringlet, La grâce des jours uniques – Éloge de la célébration, Albin Michel, 242 pages, 18 €.

Le livre s’ouvre sur la chose la plus triste au monde, un avortement, la vie brisée dans l’œuf, la mort préventive. La mort d’un fœtus, vécue dans la sérénité, le recueillement d’une cérémonie, un enterrement miniature. Beaucoup de pudeur. La douleur ? Sublimée par l’acceptation de la mort et le respect de celui qui meurt. Noé. L’enfant est reçu/perdu comme un enfant et non comme un déchet, qui finit à la poubelle avec d’autres rebuts hospitaliers. Il a droit à un nom, à une veillée, il a droit au statut d’humain, ce qui permet de nommer sa mort et de la célébrer. Il a droit au respect. Ce qui lui permet d’exister.
Après cette entrée en matière à la fois brutale et apaisante, il devient évident que tout peut être vécu et célébré, même l’insupportable… si on arrive à lui donner un sens et à manifester ce sens, à le célébrer et à le partager. Car une célébration ne se vit pas seul, elle donne de l’ampleur, une résonance, une réalité plus vaste, qui va au-delà du vécu de l’individu et englobe une communauté. Le rite est le support concret de l’événement, de l’émotion qu’il suscite et du sens qu’on lui donne dans le cours d’une vie. Mais c’est un squelette à animer. Il est bon de le faire descendre de son piédestal sacré pour le faire entrer dans la vie, de le réinventer, de le personnaliser, de le vivre dans toute son intensité initiale, mais avec un souffle nouveau, le nôtre. Le vivre dans toutes ses dimensions et ses particularités, à travers les mots, sacrés ou profanes, à travers la musique, les chants, les poèmes, mais aussi les parfums, les fleurs, les objets choisis pour célébrer cet événement particulier. C’est la vie qui est sacrée et le rite n’est là que pour nous en faire (re)prendre conscience et la célébrer, de son tout début (fœtus) à sa toute fin (soins palliatifs), même s’il semble qu’il n’y a pas encore vraiment ou qu’il n’y a presque plus de vie, elle est là, elle bat déjà, elle bat encore. Et en dehors des corps, en formation ou en déliquescence, elle bat sans doute encore, autrement, dans le mystère insondable de la vie/mort inséparables.
Cela semble très théorique. Mais il faut découvrir tout au long du livre comment se passent les célébrations privées, funérailles, baptêmes, mariages – grisailles, semailles, accordailles – et les célébrations liturgiques, auxquelles, chaque fois, un invité différent vient donner sa vision personnelle, son témoignage, après une préparation longue et soignée. Ce qui frappe, c’est la sincérité, l’authenticité de la démarche, l’ouverture à toutes les confessions, sensibilités, innovations, audaces.… et l’émotion, l’adhésion des participants présents dans l’église. Émancipation par rapport au rite figé (sclérosé ?) pour un rassemblement autour du rite revisité ensemble (vivant, surprenant). Les célébrations liturgiques au prieuré s’ouvrent à des officiants inattendus, trois pasteurs et une rabbin (quatre femmes s’il vous plaît !) ont concélébré avec Gabriel Ringlet. Et des laïcs de tout bord, avec des vécus très différents et parfois douloureux, ont participé à des célébrations aussi importantes que celles de Pâques ou de Noël. Quel challenge… Relier des individus que tout oppose ou qu’au moins rien ne relie. Relier la Parole de l’Évangile à un événement personnel ou à l’actualité du monde pour lui donner corps. Relier la liturgie et le vécu, le rite humain et le Vivant, nom parfois donné à « Dieu », un parmi d’autres, mais qui résonne plus intensément à nos oreilles de vivants.
Rester en quête, en recherche, en action dans la spiritualité, rester ouvert, bienveillant, savoir qu’il y a toujours moyen de ressusciter, quel que soit le tombeau de misère où l’on est tombé, savoir que le chagrin a sa place, avec les larmes soupape de l’âme quand il se fait trop lourd, qu’il peut être partagé comme la joie, dans la sympathie, l’empathie, oserait-on dire l’amour d’une communauté ?
Savoir que chaque jour est unique et chaque personne aussi…
Quand on n’a que l’amour
A s’offrir en partage…
Mais que faut-il de plus ?
La grâce des jours uniques, c’est de les aimer tous…

Isabelle Fable