Gabriel Ringlet – « Vous me coucherez nu sur la terre nue » – L’accompagnement spirituel jusqu’à l’euthanasie – Albin Michel – 229 pages – 17 €

Ce n’est pas par hasard que ce titre a été choisi. Cette parole de Saint François d’Assise, ce grand amoureux de la vie dans toutes ses dimensions, qui pressentait que tout n’était qu’unité, de l’élaboration initiale au dépouillement final de toute vie, se prêtait à merveille à la réflexion menée par l’auteur à propos de l’aboutissement de la vie, communément appelé la mort.

Comme on entre nu dans la vie, on en sort nu, et seul, mais en liaison évidente avec d’autres humains, qui ont tissé ou tisseront des liens avec nous. Et les deux passages sont également difficiles. Pour le « naissant », aucun recours, il doit prendre ce qui lui est donné. Pour le « mourant », c’est différent, il peut accepter ou se braquer, il peut attendre ou avancer l’échéance. Et il arrive que la souffrance soit telle que la mort, si souvent crainte ou honnie, soit désirée comme une délivrance. On l’appelle alors « euthanasie », bonne mort, mort bienfaisante.

Mais l’euthanasie ne se décide pas sans mûre réflexion de toute une « communauté » : le malade et ses proches, l’équipe médicale et divers « accompagnants». Car ce n’est pas un acte anodin que de donner la mort, fût-ce à soi-même, et dans toutes les sociétés, cet acte est soumis à la loi. Même la loi de Dieu l’interdit. Et l’Église se fait fort de le rappeler.

L’euthanasie est donc sujette à discussion. Elle est parfois qualifiée « d’assistance au suicide » : c’est un acte médical perpétré par un praticien (qui contrevient ainsi au serment d’Hippocrate) pour aider un patient en trop grande souffrance. On pourrait presque parler de légitime défense devant l’insupportable. C’est alors un acte de pitié et de piété, d’aide au prochain en détresse, que pose le médecin, au détriment de son propre confort moral. Mais cet acte constitue vraiment le dernier recours. Il ne peut être banalisé en aucun cas.

C’est pourquoi il faut en parler avec le demandeur d’euthanasie, il y a tout un cheminement spirituel à accomplir car l’euthanasie n’est qu’un chemin parmi d’autres. C’est là qu’intervient l’accompagnant, et Gabriel Ringlet nous explique qu’il a accepté de porter son écoute et sa parole dans une unité de soins palliatifs, où l’on accompagne des personnes en fin de vie, en les entourant d’un maximum de sérénité, de calme, de tendresse, qu’elle s’éteignent naturellement ou en se faisant aider. Tout un cheminement médical aussi, on soulage la douleur autant que faire se peut, et un cheminement relationnel, sans doute le plus essentiel.

Une fois la décision prise, il s’agit d’organiser le « départ ». Avant l’acte technique qui mettra fin à la vie, se déroule la « célébration », la cérémonie des adieux, préparée ensemble dans l’amour et la sérénité, ce qui n’exclut pas la tristesse – mais la mort n’apporte-t-elle pas toujours son poids de tristesse ? Ensemble, on célèbre la vie et la mort de celui qui part, et cet instant lie les personnes présentes, dans une sorte de religiosité de l’acte de naître comme de l’acte de mourir. C’est un moment d’une intensité exceptionnelle, où l’on touche au mystère de la vie et de la mort.

Certains médecins préfèrent « l’euthanasie lente », le recours à la sédation qui conduit à la mort, mais sans devoir la donner – ce qui semble plus en accord avec leurs principes. Mais ils privent ainsi le malade d’une entrée consciente dans la mort, de la présence à cette étape si importante de la vie. Il arrive aussi que les demandeurs retrouvent la sérénité grâce à l’écoute et à la parole échangée et qu’ils meurent tranquillement avant la date prévue pour l’euthanasie.

Chacun de nous se trouve un jour confronté à la souffrance et à la mort d’êtres chers. Mais son statut de prêtre et son action dans l’unité de soins palliatifs ont amené l’auteur à accompagner aussi des inconnus dans ce passage difficile. C’est un moment délicat, de vrai partage, où il faut amener le malade à s’ouvrir, à laisser couler ce qui le tourmente, où il faut l’entendre, le rassurer, être là pour l’éclairer et l’assister dans sa demande, quelle que soit sa décision.

Le livre ne se cantonne pas à l’euthanasie, même si ce thème en constitue le point d’orgue. Il étend la réflexion à une spiritualité complète, nourrie de terre glaise et de bon sens, de poésie – l’essence des choses – et de témoignages vécus, mais aussi de citations d’auteurs appréciés. Il n’hésite pas à chanter l’importance de gestes peu abordés dans le courant spirituel, telles les caresses offertes dans la tendresse par le soignant ou le proche, la toilette mortuaire qui n’a rien de macabre mais qui est un dernier hommage, le soin dans toutes ses dimensions (médical, relationnel, émotionnel et affectif) sans fausse pudeur. Car qui peut nier le réconfort d’un contact, le pouvoir des mains sur le corps, que ce soit la caresse, la pression, le massage ou l’effleurement ? Il faut réhabiliter le corps et le ré-habiter pleinement. L’homme ne vit pas seulement d’esprit mais de toute caresse qui sort de la main de l’autre. Et s’il est un moment où l’on a vraiment besoin de « contact humain », c’est bien au moment de la mort.

 

On a tant besoin de douceur aux côtés de la mort… Claude Debussy

 

Isabelle Fable