Les Farfadettes   de Georges ROLAND   conte bucolique éditions bernardiennes  (06/ 2020 10 euros)

Quel est donc cette sorte de hasard qui maintient, au moment opportun ou pas du tout, notre équilibre de vie ou son contraire quand surgit l’évènement soudain qui peut tout faire basculer ?

Et si, finalement, la vie n’était qu’un jeu où, habilement, autrui bougeait les cases à un moment inattendu ?

Pour certains, « autrui » a force de religion ; pour d’autres, ce serait l’intervention des « Farfadettes » et notamment pour ce brillant conte bucolique : « L’une des Farfadettes, nommée Florine, mange des raisins secs. N’ayant pas de bouche, elle se les enfourne dans les narines, puis aspire un grand coup : Sniff ! avant de replonger la main dans le sachet. Les deux autres s’envolent vers le haut de l’escalier et se positionnent de chaque côté du maire. La mangeuse de raisins fait un petit signe de la main :

  • Viens, docteur, descends. Mes cousines vont t’aider. N’aie aucune criante… ».

Une joyeuse tyrannie, bien ficelée, s’empare d’un village. Humour et jeux de mots font recette dans le mélange incisif de mots utilisés à bon escient, au bon moment.

Le style très personnel de l’auteur lui sert de condiment. Cette nourriture habilement concoctée est servie avec douces et improbables rêveries où la société entière, surtout celle convenue, en prend pour son grade. L’auteur observe ainsi chacun dans de petites contrariétés agaçantes : « Pourquoi les choses se rebellent-elles, pourquoi bute-on sur un caillou et se retournant constate-t-on qu’il n’y avait pas d’obstacle ? ». Et, bien sûr, l’être humain en tant que tel fait aussi l’objet de questionnement : « Il estime que les humains ont une large prépondérance sur tout être matériel ou non. N’ont-ils pas inventé la roue ? ».

Plus globalement, vivons-nous dans un monde de lutins insaisissables ayant force activité sur nos actes ? A lire on s’y croirait presque, dans ce monde capable de faire disparaître l’ombre des arbres, de changer d’époque avec aussi des références latentes comme celle probable, pour certains passages du livre, indirectement associée à des ouvrages comme « Alice au Pays des Merveilles ».

Touche à tout rêve, l’auteur n’en rate pas un seul, son style mirifique et précis nous faisant vraiment croire à un monde parallèle où une Farfadette a très certainement tenu la plume de Georges Roland pour nous faire découvrir ses propres miracles d’écriture.

Pas dupe de lui-même, l’auteur nous rappelle parfois une certaine réalité : « Il y avait aussi bien sûr ce que nous appelions les aléas, les vexations, les bonheurs et les joies aussi ».

De quoi voir autrement une réalité globale pensée à partir de … quelques pissenlits qu’on ne regarde plus, après avoir lu le livre, tout à fait de la même façon qu’auparavant.

Peut-on inverser hallucinations et faits avérés quand discutent entre elles les sommités du village ? Ne sont-elles pas victimes de leurs propres illusions ? : « La Farfadette ne put tenir plus longtemps et partit d’un énorme éclat de rire ; la sainte disparut aussitôt et l’abbé sortit de son hallucination ».

Nos réalités sont-elles figées par ce qu’on veut nous faire croire ?

Le conte, en dehors de tout rêve, pourrait aussi avoir force de débat dans cette sorte de « Don Camillo » littéraire où bascule tout un village.

Patrick Devaux