Georges Thinès, Les vacances de Rocroi, 2024, Académie royale de langue et de littérature françaises de Belgique, réédition, Préface d’André Doms ( 2024, 214 pages, 18 euros)
Le récit débute par un chapitre intitulé L’ange de Rethel, dont le narrateur prévient « qu’il le suivrait pas à pas » tout au long de son séjour à Rocroi. Ce narrateur s’appelle Georges ; il a dix-huit ans et vient de terminer ses études secondaires dans un collège jésuite. Il vient passer ses vacances à Rocroi chez une vague tante. Après cette entrée en matière somme toute assez banale, Georges va être confronté à une série d’imprévus et de rebondissements qui vont transformer ses vacances en un parcours initiatique, où le surnaturel se mêle à la réalité.
Le soir même de son arrivée dans une ancienne demeure au cœur de la ville occupée par les Allemands – nous sommes en 1941 – la tante disparaît, tandis que la jeune servante Bertine surgit, comme un diable d’une boîte. Cette jeune fille a la beauté du diable et le jeune Georges n’y sera pas insensible. Mais avant de courir le guilledou, il s’agit de retrouver Joséphine – c’est le nom de la tante –, ce à quoi ils vont s’attacher pendant la plus grande partie du roman. Il s’agit aussi d’éclairer le mobile de cette disparition. Divers personnages interviennent dans cette quête, notamment un certain M. Lebarcq présenté comme un homme de bon conseil. Son aide sera bien utile pour démêler cet écheveau rempli de mystère, où il est question d’un neveu – un vrai, celui-là – mystérieusement disparu lui aussi. À ces éléments objectifs qui s’apparentent à une intrigue policière se mêlent des références d’ordre culturel, littéraire et musical : la bataille de Rocroi et le duc d’Enghien, Beethoven et le Testament d’Heiligenstadt, le poète Mallarmé ou le scientifique Lamarck. Notons que ces ressources culturelles ne sont pas plaquées pour faire joli, mais au contraire intégrées dans la mécanique du récit.
Daniel Laroche dans le Carnet et les Instants écrit qu’il ne fallait pas rééditer ce roman au motif que « l’intrigue est nourrie de clichés ». Or précisément ce sont ces clichés (le collégien puceau bardé de livres, la ravissante orpheline sans instruction, la ville occupée qui baigne dans l’obscurité du couvre-feu) qui permettent de faire progresser l’intrigue et de dégager la dualité de l’âme humaine dont l’ange de Rethel est le symbole. Cette statue qui orne la cathédrale de Reims, avec son visage « maléfique et tendre », protecteur et tentateur, homme et femme à la fois, interpelle le lecteur sur le sens de la vie, particulièrement à dix-huit ans, âge où tout est à construire, où il faut sans cesse choisir dans l’ignorance de ce que tout choix implique.
Georges Thinès, disparu en 2016, a mis dans ce roman, dont l’édition originale date de 1982, beaucoup de lui-même : son histoire personnelle, sa culture et ses multiples compétences. Écrivain, musicien, homme de sciences et académicien, il a donné sciemment son propre prénom à son héros. Mais son roman dépasse de loin le simple récit de vie. Dans une langue admirable, il exprime au travers de bouleversantes méditations, la prise de conscience de la finitude de l’existence. Le dernier chapitre des Vacances de Rocroi scelle la victoire du rêve sur la réalité. En dépit des efforts déployés pour conserver la mémoire du passé, nous savons bien qu’il meurt à jamais.
Jacques Goyens