Gérald Purnelle : L’Eau souterraine. Lectures poétiques. Bruxelles, Académie royale de Langue et de Littérature françaises de Belgique, coll. « Essais », 2021. 262 p., 14 €.

Dix-sept textes de critique littéraire réédités en un volume : proche des miscellanées, voici un type d’ouvrage dont l’intérêt premier est assurément plus savant que commercial, d’autant plus qu’il s’agit exclusivement de poésie. La couverture fournit deux précieuses garanties de qualité : l’éditeur n’est autre que l’Académie royale de Langue et de Littérature ; quant à l’auteur, qui naguère a réédité avec grand soin l’œuvre de Jacques Izoard et celle de François Jacqmin, il enseigne l’étude des formes poétiques et la poésie francophone de Belgique à l’Université de Liège, dirige la collection patrimoniale « Ha ! » au Taillis Pré, collabore au Journal des Poètes et à la Revue générale… Le contenu du livre, d’ailleurs, dépasse ce qu’annonce son trop modeste sous-titre. Certes, il nous aide à mieux connaitre plusieurs poètes de grande qualité, mais, simultanément, il pose avec insistance deux questions plus générales : qu’est-ce que la poésie, et comment la lire ? La démarche relève donc moins de l’érudition que de la réflexion, à propos d’un genre qui, par sa condensation et son pouvoir novateur,  est souvent considéré comme le fer de lance de la création littéraire.

D’entrée de jeu, G. Purnelle distingue l’approche rationnelle du poème et sa perception affective, suggérant avec justesse que la première ne va pas sans la seconde, ne serait-ce que dans le choix des poètes étudiés. La subjectivité du cririque se manifeste davantage à propos de Gérard Prévot, dont il qualifie L’Impromptu de Coye (1972) – quatre-vingts strophes en alexandrins rimés – comme « un des plus beaux poèmes de notre poésie ». Ou de Françoise Delcarte, dont les recueils « bouleversent par la franchise d’une expérience humaine ». Par contre, nous sommes plus proches de l’analyse philologique quand il s’agit de François Jacqmin ou de Philippe Jaccottet : dissection fine de la thématique pour le premier, de la versification pour le second. Entre ces deux grands pôles se développent des recherches comme celle relative aux valeurs morales dans les œuvres d’Apollinaire ou de Jacqmin, mais aussi celle qu’il consacre à la poétique du deuil, spécialement chez Laurent Demoulin. G. Purnelle ne s’enferme donc pas dans une méthodologie rigide, et pas davantage dans un jargon de spécialiste. À chaque fois, pourrait-on dire, il réinvente sa démarche en fonction de l’œuvre, comme pour mieux s’y adapter, mettre mieux en évidence ce qui fait son intérêt et sa singularité.

Au gré de ces différentes études, G. Purnelle pose explicitement ou implicitement l’épineuse question de la nature de la poésie. « Depuis toujours, la poésie s’est constituée, pensée et pratiquée comme forme : plus précisément, comme une mise en forme distinctive du discours humain ». Il n’y aurait donc pas de thème ou de contenu spécifiquement poétique, mais seulement la souveraineté du rythme sous les espèces de la métrique, de l’accentuation, de la rime, des récurrences phonétiques, lesquelles fonderaient l’« ontologie » du poème. La thèse est audacieuse et stimulante. Reconnaissons-le : elle a rarement été présentée de manière aussi convaincante, notamment quand il s’agit du roman en vers ou de Joseph Ponthus et de sa prosaïque expérience professionnelle. Mais alors, le titre L’Eau souterraine sonne de manière paradoxale : bien que la substance aquatique ne soit pas naturellement du côté de la Forme, elle évoquerait métaphoriquement « cela même qui fait la poésie et circule dans l’échange poétique »… Bref, le livre de G. Purnelle démontre de manière éclairante la difficulté de définir intégralement la poéticité, apportant à cette question plusieurs réponses explicites ou implicites, et stimulant du même coup l’émulation du lecteur.

Daniel Laroche