A l’aube des heures fertiles de Gilles Debarle , A l’aube des heures fertiles, illustrations de Gala Hagelberg Legillon, Éditions Le Coudrier ( 2021, 18 euros)

Mêlant l’encre et la lumière, l’auteur a l’instinct solaire qui le révèle avec une écriture « libre de prendre l’air et (d’) accueillir le vent comme une caresse idyllique ».

C’est que l’auteur bénéficie dans son art de la haute délicatesse des enchantements à préserver « la fleur éclose sans laisser trace de son passage ».

S’en prenant à la juxtaposition nominale des mots, il a le sens de la provocation thématique pressant l’écrit pour l’acte établi. Les mots ne peuvent suffire s’ils ne sont pas confirmés par une décision ou une prise de conscience : « Travailler d’abord -et encore à l’endroit désigné-on a, parait-il, tout le temps de voir ».

De la douceur apparente surgit parfois l’acte qui brise, décisif, imparable. L’auteur a ce souci d’en dénoncer le basculement dans ce qu’il y a de plus quotidien : « découvrir une terre hostile dans la salle à manger où la mayonnaise remonte à la gorge ».

Pas dupe de la société, s’en prenant aux « donneurs d’ordre », le ton général est donné : on ne la lui fait pas et il se méfie de l’image donnée : « la phrase avait fixé un écran de fumée aux particules trop fines pour froisser les délires délétères ».

Chaque prose est événementielle entre poésie et essai à vouloir préciser sans précipitation oratoire mais avec une dose d’expression esthétique qui fait mouche, me rappelant en ce sens et dans certains cas la prose de Jean-Michel Aubevert.

De jour ou de nuit, l’individu est mis en scène avec ses sens davantage qu’avec l’action.

Il s’agit parfois d’une photographie de l’instant proche du travail des peintres hyperréalistes, l’aube se souhaitant, avec l’éveil, différente et, peut-être, pour se sentir « en (une) recherche, en sourdine, d’un nouvel équilibre ».

Et puis, soudain de cette sorte d’inertie, une phrase, obsédante, va révéler l’écrivain, l’écriture, sauver une situation indéfinie, sauver l’antagoniste de son inertie.

La maïeutique de l’instant révèle ainsi la maïeutique de l’écriture et « on délaisse l’errance pour la sérénité ».

La naissance de cet « être secondaire » rend alors « les échos disponibles ». Entre l’être de chair et l’être pressenti il y a « le théâtre, cette bouffée d’air, une séance suivant (suivait) l’autre comme des ponts qui s’appellent (s’appelaient) le tout suscité par « l’écoute », la rencontre qui, en fait, sauve.

L’approche de l’acte créatif passe forcément, pour un auteur, par la conscience et la présence du mot et c’est « à l’auteur de reconstruire, s’il reste un peu de matière ».

En grande symbiose, les émergences picturales de Gala Ragelberg Legillon font penser aux puissants tableaux de Nicolas de Staël avec sans doute des contrastes de ton plus encrés, plus fluides.

Plusieurs fois l’auteur fait référence au départ, au voyage, à la mer, à des outils pour se mouvoir, se départir de quelque chose : « La barque, la nuit, le silence, trois éléments pour accoster, quelque part, un endroit pas trop large, assez ferme quand même pour tenir, pour tenir debout ».

Dans cette euphorie naissante la recette sera de devenir autre en « rencontres démultipliées, depuis la tour ou en mission, les heures passées à parcourir les chemins détournés par les conflits délétères, à reconnaître ses semblables au détour des terres irriguées ou des ruelles tortueuses ».

Il y a, dans ces pages à énigmes, à trouver le signe que chacun peut prendre pour en résoudre le sens.

L’auteur parle encore de « rendez-vous enfilés comme des perles ». Ramenant cette idée à son écriture, le lecteur peut trouver la sienne car, en effet, le secret d’un certain bonheur est bien sûr de le vouloir à tout prix mais aussi de « prendre le monde en entier, chercher les horizons dans la pénombre, sans en exclure à priori », Gilles ramenant cette prise de conscience, in fine, également en recherche d’écriture et d’amour, « une femme s’élevant ( s’élève) sur la nouvelle rive, les formes souples, spontanées, la frange fine et incisive, le buste en évidence, les yeux si tendres à dix centimètres de soi, la peau comme un aimant, subtile dans la douceur, miracle inespéré livré sans préséance ».

Patrick Devaux