Gilles SEBHAN – MANDELBAUM ou le rêve d’Auschwitz,  Les Impressions nouvelles, 153 pages, 13 euros.

Il ne pouvait revendiquer « officiellement » son être juif, sa mère ne l’étant pas. Mais il semble qu’il ait décidé de « puiser en lui-même la source de son judaïsme, (de) vivre en juif avec toutes les contradictions, tout le tragique, toute la promesse d’accomplissement que porte ce sang »[1]. Et peut-être avait-il compris que « les juifs d’après Auschwitz représentent l’humanité quand ils affirment leur judéité »[2].

C’est le destin de Stéphane MANDELBAUM, né en 1961, assassiné en 1986, qu’interroge ici, de manière très pertinente, Gilles SEBHAN. Ce dessinateur était hanté par son impossibilité d’être juif et en même temps par son impossibilité de ne pas l’être. Dans son œuvre, un leitmotiv : la pornographie  mêlée à Auschwitz. Et c’est un être insaisissable que réussit à nous représenter Gilles SEBHAN, s’interrogeant notamment sur deux œuvres datées de1983, intitulées Rêve d’Auschwitz, œuvres terribles  où l’image d’ Auschwitz côtoie des représentations pornographiques.  Il semble que pour Stéphane MANDELBAUM, les figures soient des présences rêvées, comme si la vision venait de l’intérieur, le rêve d’Auschwitz étant un exorcisme. Mais, il y a bien d’autres aspects de Stéphane MANDELBAUM que nous donne à découvrir Gilles SEBHAN (ainsi de ses relations avec la pègre, de ses braquages, du vol d’un Modigliani…). La richesse de ce livre est aussi d’ouvrir  à une réflexion sur l’art . Ainsi de la question : qu’est ce qu’un artiste a dans l’œil ? Qu’est ce que ses dessins ? Et l’auteur nous donne alors matière à réflexion : « Sa mémoire est celle du trait d’un autre – le plus souvent d’un mort – sur une feuille qui est comme l’enregistrement de son souffle sur une page blanche »[3].

On lit ce livre d’une traite tellement l’écrivain réussit à nous attacher à la personnalité – oh combien tourmentée et gardant une large part d’ombre !- d’un artiste dont on se demande s’il n’ a pas été détruit par son désir de violence sacrificielle.

          Michel Westrade

                                               Janvier 2015 – 70ème anniversaire de la libération d’Auschwitz.

[1] M. BUBER, Judaïsme, Verdier, « Les Dix Paroles », 1982, p. 16. On ne manquera pas de (re)lire George STEINER et Paul CELAN.

[2] Emil FACKENHEIM, La présence de Dieu dans l’histoire, Verdier, « Les Dix Paroles », 1980, p. 149.

[3] P. 95.