Hélène Delhamende – Ma mère… quand ça l’arrange  – Ed. La Boîte à Pandore – 292 p. – 17,90 €

 

Hélène est une enfant adoptée et, à vingt-sept ans, elle peut se dire qu’elle a eu de la chance, avec des parents adoptifs qui l’ont aimée, choyée et menée au bout de ses études de criminologie. Pourtant, il lui manque une chose essentielle à ses yeux, l’élément fusionnel avec sa mère biologique, qui l’a abandonnée à la naissance. Cela l’obsède depuis toujours et quand elle arrive à identifier celle qui lui a donné le jour, suite à des recherches administratives, elle croit toucher au paradis. Mais il n’est pas facile de créer un lien mère-enfant entre une mère qui est une parfaite inconnue et une fille tout aussi inconnue, qui est bien plus âgée que la jeune mère ne l’était quand elle a conçu ce bébé malvenu.

Marie avait été parée de tous les fantasmes que lui avait prêtés Hélène pendant des années. Mais c’est une femme bien réelle, qui mène une vie aisée, mariée et mère d’un fils d’une vingtaine d’années, qui pratique « l’art floral » – mais non, elle n’est pas « fleuriste »! – et qui accueille avec une certaine élégance cette fille qui lui tombe du ciel après plus d’un quart de siècle d’oubli. Hélène a soif de sa mère, elle voudrait la « dévorer », l’avoir à elle, maintenant qu’elle l’a trouvée, établir une relation serrée. Marie est plus réticente, c’est qu’elle a sa vie, son mari, sa boutique, ses amis, et son fils Emeric, qui ne voit pas d’un très bon œil cette demi-sœur envahissante. Marie veut bien accueillir Hélène mais à doses homéopathiques, quand ça l’arrange, ou plutôt quand ça ne la dérange pas. Elle jette le chaud et le froid dans la relation, tantôt paradant avec sa fille « retrouvée », tantôt la laissant de côté et même la bousculant et la repoussant quand elle la juge trop présente.

Marie a pu oublier son « erreur de jeunesse » et faire le « beau mariage » prévu, avec le fiancé indulgent et la belle-famille compréhensive. Mais le « fruit de cette erreur » lui semble peut-être indigeste car Marie est une de ces femmes où le paraître prend sans doute le pas sur l’être, où le poids des convenances peut étouffer les instincts naturels, au point qu’elle semble dans l’incapacité d’être mère. Une chose est de mettre au monde un enfant. Une autre est de devenir sa mère. Cela implique d’autres dimensions. Notamment cette imprégnation immédiate après la naissance, cette intimité physique et affective, ce don de soi…

Marie a une personnalité perturbée et se sert peut-être d’Hélène pour régler ses propres problèmes avec cet événement de son passé. Et au lieu de la fusion espérée, Hélène doit apprendre à se préserver de cette mère aux sentiments ambigus, qui, comme la mer, avance et se retire sans cesse devant elle, au point de lui devenir nocive, tant la déception est grande.

Il lui faudra procéder à un assassinat symbolique pour couper le lien, comme un enfant se décide à naître, acteur de la rupture.

Hélène souffre mais prend plaisir, dans cette relation paradoxale, à exacerber ses attentes, ses bonheurs, ses désillusions et à les exprimer avec force. Le récit est autobiographique et cela lui confère la force de l’authenticité pour fouiller les coins et les recoins, explorer les tréfonds parfois troubles et douloureux des relations humaines. L’auteur espère, en transformant la souffrance en œuvre d’art, aider ceux et celles qui seraient, comme elle, à la recherche de leurs origines.

Isabelle Fable