Hugues Wenkin – Le Congo s’embrase , Weyrich– 235 pages et presque autant de photos

Un très bel album richement illustré, qui passe en revue détaillée les événements entourant l’indépendance du Congo, en s’appuyant sur les documents historiques disponibles. Comme les événements ont été plutôt dramatiques et nimbés de violences et d’interventions militaires, on pourrait s’attendre à un texte un peu rebutant, du moins pour un lecteur peu intéressé par la stratégie et les manœuvres militaires. Ce n’est pas le cas. L’auteur réussit à écrire un livre passionnant.
Après les troubles graves survenus à Léopoldville le 4 janvier 1959, le gouvernement belge et le Roi Baudouin se prononcent pour l’indépendance du Congo, prévoyant un encadrement belge pour administrer le pays en attendant que les autochtones soient à même de prendre le relais. La Force Publique (F.P.), composée de soldats congolais et d’officiers belges, est là pour assurer l’ordre intérieur et la défense du pays. Dès la déclaration d’indépendance, le 30 juin 1960, elle cessera d’être un outil colonial pour devenir un organe national. Mais l’africanisation de la F.P. pose problème car il n’y a pas encore d’Africains suffisamment formés pour être officiers supérieurs. Les soldats se sentiront frustrés, au moment de l’indépendance, de ne pas avoir de promotion, comme cela se passe pour les civils – témoin éloquent, Patrice Lumumba, devenu Premier ministre et ministre de la Défense. Cette situation provoquera au début juillet des mutineries, qui se répandront de proche en proche, et des exactions, brutalités, viols et violences à l’égard des civils européens. Ceux-ci essaient alors de fuir, parfois de s’armer pour se défendre, et demandent du secours. Outre la F.P., désormais incontrôlable, des forces métropolitaines sont basées au Congo, en effectifs restreints. La Belgique enverra des renforts militaires dans le but de protéger ses ressortissants et les structures du pays mais, ce faisant, elle viole le Traité d’amitié belgo-congolais (l’envoi de troupes requérait une demande d’aide du gouvernement congolais, qui se fait attendre) et les droits internationaux (par l’envoi de contingents armés dans un pays souverain). Même si le but n’était pas de « reconquérir le Congo » et s’ils n’étaient pas « des ennemis de l’indépendance », les Belges se sont mis dans une position délicate.
La situation était très embrouillée, les avis divergeaient au sein du gouvernement belge sur l’attitude à adopter au Congo. Dès le mois de mai 1960, la Défense nationale avait envisagé des troubles possibles après la déclaration d’indépendance et mis au point l’opération Camoens pour la protection des ports en vue d’une évacuation des ressortissants belges si nécessaire. L’envoi de troupes était subordonné au principe de Lyautey : montrer la force pour éviter de devoir s’en servir. Le but était de préserver les intérêts de la Belgique en protégeant les 88.000 ressortissants belges garants de la rentabilité des sommes colossales de capitaux belges investis au Congo. Mais conserver ou rétablir l’ordre et la sécurité étaient aussi l’intérêt du Congo car l’exode massif des Blancs au début du mois de juillet provoquait l’effondrement économique du pays et la disparition d’une administration compétente. Le but poursuivi était de juguler le désastre et de défendre les Européens sans effusion de sang congolais. Défi improbable, dans l’état d’esprit et la confusion qui régnaient désormais.
La peur et la méfiance réciproques, les tergiversations des autorités belges et congolaises, les communications défectueuses ont rendu la mission pacifique irréalisable. La peur génère l’agression. La rumeur d’un complot belge, d’un coup d’état prévu par la Belgique, la peur devant les forces métropolitaines déployées face aux mutins de la F.P. ont augmenté la tension. Les soldats de la F.P. étaient bien plus nombreux que les forces belges en présence, très bien entraînés, puissamment armés et décidés à défendre leur vie et leurs droits. La prise de Matadi a été vue comme une agression intolérable. Le processus s’est enclenché.
Le gouvernement congolais n’a pas pu assurer l’ordre et reprendre en main son armée, l’intervention militaire de la Belgique a provoqué une réaction de la part de ce gouvernement, qui s’est senti nié dans ses compétences politiques. Il y a eu rupture des relations diplomatiques et demande par le président Joseph Kasa Vubu et le Premier ministre Patrice Lumumba de l’intervention de l’ONU, non pour rétablir l’ordre intérieur mais pour protéger le territoire national menacé par « l’acte d’agression » posé par la Belgique. Ce qui amènera une internationalisation du problème congolais.
Ce compte-rendu ne peut donner qu’une faible idée du déroulement des événements, des tenants et aboutissants exacts, et a sans doute négligé ou même déformé involontairement certains éléments d’une situation très complexe. Je vous invite à lire le livre pour bien comprendre ce qui s’est passé et pourquoi cela s’est passé. Vous ne le regretterez pas.
Isabelle Fable