Hugues Wenkin, Les moutons noirs de Piron, La brigade Piron de la Normandie au cœur du Reich, éd. Weyrich.

Moutons noirs ou moutons blancs? Un choix qui s’est posé de manière dramatique aux soldats belges, le 28 mai 1940. Fallait-il obéir aux instructions que contenait, de manière implicite, la capitulation décidée par le roi Léopold III, après l’encerclement de l’armée belge, et se constituer prisonnier auprès des Allemands? On aurait pu espérer, après une capitulation, que l’armée vaincue serait renvoyée dans ses foyers. La plupart des gens, en Europe, à l’époque, donnaient les Allemands comme vainqueurs, et allaient s’arranger, aussi bien que possible, d’un régime contraire aux lois les plus élémentaires de l’humanité. Rares furent les Français qui se rallièrent à de Gaulle, plus rares encore les Belges qui, par leurs propres moyens, gagnèrent l’Angleterre pour y poursuivre le combat. Le gouvernement, réfugié en France, hésita longtemps avant de le faire. Et Hugues Wenkin a bien raison de mettre en exergue la phrase célèbre de Guillaume d’Orange: Il n’est point besoin d’espérer pour entreprendre, ni de réussir pour persévérer.

Beaucoup de membres de l’Armée belge ne purent rallier l’Angleterre aussitôt après la capitulation; ils durent traverser les Pyrénées, le plus souvent en Catalogne, la côte basque étant étroitement surveillée. Ensuite, pendant de longs mois, les geôles de Franco, avant de pouvoir gagner le Portugal, et de là, Gibraltar. Tel fut notamment le cas de Jean-Baptiste Piron. Et ce n’était pas tout: une fois en Angleterre, répondre à un examen serré des services anglais, car les Allemands essayaient de faire passer leurs espions parmi les évadés.

Mais, pendant ce temps, en Angleterre, tout n’était pas rose pour les soldats belges: une pléthore d’officiers supérieurs, parmi lesquels, assez vite, des intrigues, des jalousies allaient se faire jour, donnant à leurs alliés la plus mauvaise impression. Certains officiers supérieurs, à côté de leurs qualités proprement militaires, avaient des traits de caractère qui se prêtait mal à la situation. Les Belges mirent très longtemps avant de pouvoir présenter un nombre d’hommes suffisant pour former une unité autonome; on envisagea même de les réunir, par petits paquets, à des unités anglaises. L’arme blindée, après la campagne de mai, attirait plus que l’infanterie. Quelques officiers remarquables réussirent à redresser la situation – on en était presque venu à des mutineries – et parmi eux, ce fut Piron, en fin de compte, qui prit la tête.

Ce fut alors, peu de temps après le débarquement de juin en Normandie, une série d’actions remarquables, qui leur valurent l’estime et les félicitations de nos Alliés: après avoir longé la côte normande, en libérant notamment Cabourg, Honfleur, le passage de la Seine, et une avance très rapide vers la Belgique, où, avec les Guards anglais, ils libérèrent Bruxelles.

Ils avaient opté, en fin de compte, pour la formation d’unités blindées mixtes, comportant de l’infanterie et du génie, sur le modèle de ce que les Allemands avaient mis sur pied. Unités particulièrement bien adaptées à l’avance rapide et à la reconnaissance. Au cours des mois suivants, ils furent employés à l’avance en Hollande, après Arnhem, et au renforcement de têtes de pont anglaises ou canadiennes.

Et puis,  après les permissions bien gagnées  et l’adjonction de nouvelles recrues, l’avance en Allemagne, la protection des civils, avant le retour au pays, et l’amère déception de se voir devancer, à beaucoup d’égards, par des moutons blancs restés au pays, quand ce n’était pas par des résistants de la dernière heure. Piron avaient encore une belle carrière devant lui, et il resta constamment attentif au sort de ses anciens compagnons d’armes.

Un livre remarquable en tout point: par la clarté dans l’exposé des faits, qu’il s’agisse de stratégie, de matériel, ou encore de finesse dans les portraits des protagonistes  ou dans la description des intrigues de tout genre qui sont malheureusement le lot des situations embrouillées.

Joseph Bodson