Isabelle Bielecki Fenêtre sur mes jardins en friche, illustrations de Josse Goffin éditions, préface de P. Devaux ; éditions Le Coudrier collection Sortilèges (2023, 20 euros, 63 pages)
La poésie d’Isabelle Bielecki est motivée par les détails révélant une sorte d’infini. On peut la lire comme on observerait des insectes à la loupe, grossissant ainsi l’émotion ressentie : « Deux pigeons en pleine lumière/Picorent du soleil écrasé/Seule sur un banc je partage/Mon pain : pour moi cette bouchée/Pour vous les miettes par terre », le ton partageant ainsi l’offrande des mots à ce qui se présente à la fenêtre et au regard. Une bienveillante sagesse parcourt ainsi les scénettes cadrées destinées à dérouler un film lent où chaque élément s’éternise en suggérant autant d’émotions : « Jardin au vent/ Je lance un mot dans le vent/Pan ! Une virgule s’est fichée en lui/Il bat encore des ailes mais il est pris/ Je vais le glisser dans ma volière ».
L’empathie de l’auteure s’active ainsi à ressentir à la place des vies représentées dans autant de jardins figés dans leur contexte propre mais suggérant au lecteur des émotions fortes illustrées avec brio par Josse Goffin tandis qu’une douce fragilité tinte parfois à nos oreilles, Isabelle maîtrisant particulièrement l’oralité et le son ( je songe au petit coup de triangle, cet instrument rare tenu à bout de bras) : « Jardin du silence/Je m’en vais vers le silence/ Par des chemins si clairs/Que mon regard n’ose/Briser la fine lame de verre ».
Oscillant entre sourires et larmes, chaque jardin trouve ainsi la place qui convient à l’émotion du moment, sans oublier le vécu personnel : « Avant je dormais collée au malheur/Bouche contre bouche/On se chuchotait les détails sordides/D’un dernier soir/Avant je flirtais/ Avec l’ombre la plus dense/Aujourd’hui je suis sage/Je m’habille de lumière ». La poète est aujourd’hui rayonnante ; c’est que « Le bonheur a parfois/Le goût étrange/D’une tartine de brouillard », l’image assimilant ainsi monde extérieur à la fenêtre et friches intérieures que ventile l’âme profonde de la poète.
Patrick Devaux