Jacques Richard – Scènes d’amour et autres cruautés – Zellige – 178 pages – 18,50 €

L’auteur nous déstabilise en beauté, écorche la sensibilité, titille la curiosité dans ces très courtes évocations, ce patchwork de tranches de vie assemblées dans un savant ordonnancement de ce qui nous paraît à la fois terriblement vrai et terriblement faux. En ce sens que les mots sont clairs mais les situations ne le sont pas. Le non-expliqué dérange et interpelle notre besoin de savoir, de comprendre. Nous touchons là au surréalisme, dont le propre est de chatouiller la raison, de bousculer tous nos acquis par une incursion subite dans l’étrange. Ces petits textes sont bien écrits, en termes précis, avec une grande puissance d’évocation, sans que cela devienne jamais ennuyeux, comme peuvent l’être des descriptions. L’intérêt est soutenu dans chaque nouvelle, le quotidien le plus banal se voit transformé (transfiguré ?), figuré différemment en tout cas par la plume/palette du peintre qu’il est aussi. On sent l’œil et la main du plasticien dans la précision du rendu, la justesse de ton, dans chaque petite touche, chaque petite phrase, qui vient corriger et compléter la précédente, comme un coup de pinceau améliore et fignole le précédent. L’imagination est vive mais la forme est très contrôlée. L’auteur travaille la matière. Témoin, cette même histoire racontée trois fois, de manière différente, « ni tout à fait la même, ni tout à fait une autre ». On songe à un rêve (cauchemar) récurrent, ou à l’étude préliminaire d’un peintre, qui tente plusieurs esquisses, plusieurs approches de son projet.

C’est qu’écrire n’est pas facile et l’auteur met en scène dans « Mouvement perpétuel » un écrivain en proie aux affres de la création. « Il faisait un effort pour sortir, lui, de la carapace de cloporte où le maintenait le jour qui passait. Ce qui l’animait, c’était l’espoir imbécile, la certitude qu’aujourd’hui, ça viendrait. Je suis englué dans l’espoir comme une mouche dans la merde, murmurait-il. Le vrombissement de ses ailes diminuait, s’épuisait de chaque tentative. Il allait faire quelque chose de neuf. »

Jacques Richard a réussi à faire « quelque chose de neuf », c’est sûr, en nous présentant ces nouvelles plutôt sombres et parfois à la limite du soutenable, présentées sur un ton anodin. On sort du livre décoiffé, désorienté comme au sortir d’une nuit pleine de rêves étranges et dérangeants, doublé d’un sentiment de malaise devant ces « scènes d’amour », amour amer, scènes cruelles, et ces textes où l’on trouve de tout mais pas d’amour au sens habituel du terme. L’auteur nous ouvre les portes d’un monde grouillant, peut-être celui de l’inconscient, peut-être celui du fantastique, des idées noires, de l’humour noir… ? Est-ce de l’humour, ou un dérapage du pinceau, quand il évoque cette cavalière « monture au pas, rennes courtes sous la bombe de chasse » ? J’opte pour le dérapage. La perfection n’est pas de ce monde, malgré tous les soins qu’on y apporte. Et c’est rassurant, puisque l’erreur est humaine, de voir que Jacques Richard est humain, malgré ces contes cruels !

Ceci dit, le livre vaut le détour. Mais n’espérez pas y trouver l’érotisme sadique que suggère l’illustration de couverture, avec ce fragment de silhouette de femme nue, les mains (liées ?) dans le dos, le ventre percé d’une flèche. Ce n’est qu’un leurre… pas d’érotisme, mais peut-être un peu de « tendre » sadisme ?

Isabelle Fable