Jean-Baptiste Baronian, Baudelaire au pays des Singes, essai, éd. Pierre Guillaume de Roux, 2017.

Incollable, Baronian. C’est à croire qu’il a lu tout ce qu’on a jamais écrit sur Baudelaire. Les notations les plus fines, les attaques les plus fielleuses, les notes les plus ténues, rien ne lui échappe.

Et ce n’est pas de l’érudition pour l’érudition. L’ensemble du tissu une fois rassemblé, le lecteur se frotte les yeux, ébloui: il a devant lui un portrait grandeur nature, Baudelaire comme si vous y étiez, comme si vous alliez le rencontrer, à l’hôtel du Grand Miroir, ou au coin d’une ruelle, dans un quartier mal famé. Tel qu’en lui-même l’éternité le change? Hélas non. Tel qu’il était en réalité, avec en lui tout ce qui nous dérange. Son attitude envers les femmes, envers le peuple qu’il méprise après l’avoir mis sur le pavois, envers la religion en laquelle pourtant il croit, envers les Juifs, envers la Belgique enfin, car, vous l’aurez deviné, les Singes, c’est nous.

On ne peut tout expliquer par le spleen, l’ennui, la déception de ces causeries où le public se raréfie. Le premier responsable, bien sûr, c’est lui. Avec son arrogance, le plaisir qu’il prend à choquer les gens, et pas seulement les bien-pensants, mais tous ceux qui viennent l’écouter. Il est vrai qu’on lui avait promis monts et merveilles de cette tournée de conférences…et qu’il avait grand besoin d’argent. Mais c’était un puits sans fond, il ne cessait de réclamer de l’argent à sa mère, avec des promesses d’amendement qu’il ne tenait pas…Les éditeurs, les agents littéraires le fuyaient, pour la même raison: promesses non tenues. Sa santé? Ce n’est pas son train de vie qui allait l’améliorer. Et tout cela, inévitablement, allait finir en catastrophe.

Et qu’allons-nous en penser, nous autres Singes? Les conclusions de Baronian sont mesurées, raisonnablement mesurées: le spleen existait déjà à Paris, la maladie aussi. A Paris aussi, dans le public, c’est la méconnaissance qui dominait. C’est plus tard, bien plus tard seulement, qu’il sera reconnu comme le plus important sans doute des poètes français.

Nous ne possédons que des brouillons de ce livre sur la Belgique qu’il projetait. Très vite, son état va aller en se dégradant, et seuls quelques amis lui resteront indéfectiblement fidèles. Et nous ne pouvons que nous ranger sagement au parti de Jean-Baptiste Baronian, dont je cite avec plaisir la fin du livre:

Quelles est en somme, la légitimité de tous ces textes?

Peut-être n’en ont-ils une que dans la relation librement consentie entre un auteur et son éditeur, un éditeur professionnel, le seul interlocuteur valable, le seul habilité à les faire paraître…

Oui, c’est vrai, Baudelaire a voulu publier Pauvre Belgique, ou La Belgique déshabillée, ou encore La Capitale des Singes, ou…

Mais ce livre infernal n’a jamais été composé.

Jamais.

Joseph Bodson