Jean-Baptiste Baronian, Le petit Arménien, roman, Pierre Guillaume de Roux, 2018.

Il n’est pas tellement courant qu’un écrivain bâtisse un roman sur sa famille, et plus particulièrement sur sa mère. Il y a bien La mère et l’enfant, de Charles-Louis Philippe, et surtout le tendre, l’émouvant Livre de ma mère, d’Albert Cohen.
Mais, sous l’apparente légèreté, la disinvoltura de notre auteur, se cache un art du récit très construit, même si ce n’est pas très calculé, une sorte d’instinct qui passe sans défaut d’une époque à une autre, du chaud au froid, d’un grand bonheur à une profonde peine d’enfant.
En effet il y a à la base de ce récit un épisode qui vient le charpenter, qui sera d’ailleurs repris au fil des pages, et l’on sent qu’il s’agit là d’une blessure profonde, à laquelle l’auteur il s’est souvent référé dans la construction de lui-même, et qui revient comme un leitmotiv : cet entretien de sa maman avec son professeur et le directeur de l’école, qui veulent la persuader que son fils n’est pas intelligent, qu’il faut le changer d’école. Hé oui ! Tout écolâtre n’est pas nécessairement prophète en sa chaire !
Incident parallèle, la place dans l’équipe de football, ce surveillant polonais qui veut le placer au goal, alors que lui veut s’élancer à l’avant.
La mère et sa religion ; le père, son socialisme à l’arménienne et son petit métier chez un horloger qui ne suffit à les faire vivre, il faut que la machine à coudre de la mère y pourvoie. Et puis tous les comparses, frère, sœurs, amis et amies. La découverte de la vie, avec tous ces mots que l’on ne comprend pas, mais que l’on goûte, auxquels on donne une signification plus savoureuse que la vraie. Dans la description de tous ces personnages, Baronian fait preuve d’une superbe maîtrise : deux ou trois traits, un nez, une chevelure, la bave qui coule de la bouche de son professeur, et ça y est : le personnage est là, vivant, devant nous, autant et mieux qu’un instantané photographique. S’il n’eût été écrivain, le petit Jean-Baptiste eut fait un excellent caricaturiste.
Les amoureux du passé, et de leur bonne ville de Bruxelles, d’une certaine époque aussi, de l’après-guerre immédiate, y trouveront une foule de détails pris sur le vif qui les raviront.
Oui, un récit d’enfance, axé sur la famille. Mais aussi sur la mère Arménie. Et sur sa mère à lui, encore une fois, car le livre se termine sur une pointe d’humour tendre :
Maman est mon ange gardien
Maman est une sainte.

Joseph Bodson