Jean Jauniaux, Belgiques, Ker éditions, 2019

Une autobiograhie, nous dirions presque, plus volontiers l’autobiographie d’une enfance, avec pour titre le nom d’un pays, ou plutôt d’un pays pluriel, ce n’est pas si commun. Plusieurs pays? La côte, c’est-à-dire Coxyde, et puis des endroits divers en Wallonie, les Ecaussines, Mons, Bruxelles, le Pays noir…ou bien la Wallonie, la Flandre et Bruxelles? Ou biee les deux ensemble? Je parierais volontiers pour cette dernière solution, car Jean Jauniaux n’est pas de ceux qui déchirent, qui désunissent, mais bien plutôt de ceux qui rassemblent. Autobiographie d’une enfance, ou plutôt scènographies d’un ensemble d’éléments où l’enfance, surtout, se détache,. Car l’enfance aussi est plurielle, l’enfant vit dans une sorte d’éternité un peu brumeuse, elle n’est pas un long fleuve tranquille, mais une succession de petits bonheurs et de grands malheurs, ou l’inverse, au travers desquels nous sommes ballottés cahin-cahan, sans avoir bien grande prise sur les événements qui nous abordent. Et bien souvent, ce sont les rencontres, les amitiés qui nous déterminent.

Une enfance décrite avec beaucoup de délicatesse, qui est dominée, déterminée par le décès tôt survenu de sa mère, – et cela viendra tout à la fin du livre. Et puis la vie auprès d’un père plutôt austère, enseignant, exigeant, traçant pour son fils un programme scolaire entièrement hors normes, qui le place en porte à faux parmi ses condisciples. Il aura peu d’amis, peu de souvenirs, c’est seulement plus tard, lors de ses années d’étude à l’INSAS qu’il pourra s’épanouir, au contact de quelques personnages exceptionnels, parmi lesquels se détache Théo Fleischmann, un des pionniers de l’INR. Autre conséquence: le goût de Jean pour l’archive, qui l’amènera à transformer son appartement, de la cave au grenier, en un énorme classeur. Des trésors d’Ali Baba pour ceux qui aiment la littérature belge de langue française ou, si l’on préfère, la littérature française de Belgique.

Mais c’est sa voix, à lui, et non la mienne, que j’aimerais vous faire entendre, si brièvement que ce soit. Ainsi, p.9, évoque-t-il un de ses professeurs, Jean Brismée:

« Jean Jauniaux? Jean Brismée à l’appareil.. »

.M’appelait un de mes professeurs à l’INSAS que j’avais quitté dix mois plus tôt. Un de ces enseignants à l’ancienne: rigoureux, sévère impressionnant. Il surjouait de cette autorité janséniste dans les classes peuplées de jeunes gens chevelus et imbus d’eux-mêmes auxquels il enseignait les matières arides, aux yeux de ces futurs génies du septième art, que sont la physique, l’optique et la chimie. Au fil des mois pourtant, il révélait ce qui constituait sa vraie nature: la générosité, l’empathie et l’attention à l’autre. Je découvris en lui un de ces piliers de résilience qui ont balisé les étapes les plus difficiles de ma vie et leur ont donné une impulsion nouvelle.

Jean Brismée le mettra ainsi en contact avec Jacques Cogniaux, qui préparait une série d’émissions sur la révolution de 1830, et Jean Jauniaux s’intégrera à son équipe. Cela nous vaut un beau portrait d’un maître idéal, et la faculté d’admirer n »est pas si répandue.

Ces tournages lui permettront de rencontrer aussi Armand Bachelier, Jacques Bredael, Claude Volter, et cela nous vaudra également quelques beaux portraits.

Viendra ensuite, en flash-back, l’évocation d’une rédaction consacrée au prix Goncourt de Charles Plisnier, distinguée et lue par son professeur, rédaction où il extériorise ses peurs, son isolement (p.25): J’eus le sentiment, nouveau pour moi, d’avoir un allié. un ami. Pour cela, il avait donc suffi que je cesse de mentir, que je dévoile cette histoire, et, à travers elle, une part de ma différence…

Louis Piérard, encore, originaire comme lui de Frameries, et l’un des fondateurs du Club des écrivains belges, qui deviendra le Pen club de Belgique. Et puis, l’évocation de Blaise Cendrars par Théo Fleischmann…et puis…et puis…la liste est sans fin, comme si la vie de Jean Jauniaux n’avait été qu’une longue rencontre. Ce n’est pas si mal, pour un petit garçon tout seul. Il y aura encore le Pays Noir, le Bois du Cazier, Saint Idesbald, Chavée, Bob Morane.

Et puis, pour terminer, ces pages de douceur et de beauté intense, évoquant la mort de sa mère::

Tu redresses le buste, l’appuies sur les coussins que l’infirmière, agile, dispose sous ton dos voûté. Ton visage à présent me fait face. Je redoute, non que tu découvres ma présence, mais que tu m’en grondes. Je ne voudrais pas que la colère soit le dernier sentiment que je conserve de toi. L’infirmière se retire, referme la porte de la chambre et nous laisse seuls. Nous trois: l’enfant, la mère et la mort. A cet instant, tu as découvert ton petit garçon de quatre ans, camouflé dans ta chambre de torture. A cet instant, tes yeux ont rencontré les miens..A un dernier instant oµ un dernier sourire a illuminé ton regard, la vie en toi s’est éteinte. Le cercle de la mère, de la mort et de l’amour s’est refermé.

Merci, Jean.

Joseph Bodson