Jean Lavoué, René Guy Cadou, La fraternité au cœur, édition L’enfance des arbres, 2019; préface de Ghislaine Lejard, postface de Gilles Baudry.

C’est un cadeau, de tenir ce livre entre les mains. Un ouvrage de Jean Lavoué (poète né en Bretagne, éditeur, auteur d’une vingtaine de récits et recueils poétiques touchant à la spiritualité) sur le poète ou, plus exactement, sur la poésie de René Guy Cadou, illustré par de très délicates aquarelles de Bernard Schmitt.

Il s’agit bien plus que d’une biographie ou d’un essai sur le poète. C’est cela aussi, bien sûr, richement documenté par nombre de références, de correspondances, d’extraits de textes, mais c’est surtout, écrit de la belle plume poétique de Jean Lavoué, un hommage, une longue méditation sur une destinée, sur le cheminement d’écriture de ce poète breton (auteur d’une vingtaine de recueils) né en 1920 et mort à l’âge de 31 ans.

L’ouvrage met particulièrement en lumière les sources vives de la poésie de René Guy Cadou.

Avant tout, c’est l’absence du frère, Guy, mort à huit mois d’une méningite, huit années avant la naissance de René. Guy, « victime innocente et fraternelle qui n’a pas eu son compte de vie. Et paradoxalement, victime par l’absence de laquelle la vie, à nouveau, se trouve intensément redonnée. Tout le génie créateur et poétique de Cadou réside peut-être dans cette absence ardente dont son âme est le foyer » (selon les mots de Jean Lavoué). Ce frère aîné que René n’a pas connu, ce double en lui, est en effet incessamment présent dans les poèmes de René Cadou : « Si quelqu’un veut toucher/ Mon cœur qu’il s’agenouille/ Et creuse lentement/Le cœur chaud de la terre/ Qu’il soulève en ses mains/ La glaise et le terreau/ L’humus qui garde encore/ Une odeur de châtaigne ». Ce n’est pas un hasard si le poète se choisit le double prénom pour l’écriture…

Ensuite, il faut évoquer d’Hélène, son épouse aimée, un éblouissement. On sait combien les mots sont baume et écorchure, étincelles et cendres, combien les mots sont faits d’ombre et de lumière. Et c’est Hélène « qui vient suturer la plaie par laquelle s’écoule la poésie de René. Plutôt, qui la transfigure ».

« Tu étais la présence enfantine des rêves/ Tes blanches mains venaient s’épanouir sur mon front/Parfois dans la mansarde où je vivais alors/ Une aile brusquement refermait la lumière… » (René Guy Cadou, Poésie la vie entière).

Tout l’ouvrage palpite sous le sceau de la Fraternité. Fraternité avec ce frère absent, avec l’épouse (avec laquelle la fusion est parfaite), avec les nombreuses rencontres littéraires et poétiques du jeune René Cadou, tels que le poète et libraire nantais Michel Manoll, Pierre Reverdy, Max Jacob (avec lequel il entretiendra une longue correspondance) …, fraternité aussi avec des moines d’abbaye (en particulier le père Agaësse).

Et Dieu, dans tout ça ? Car toute l’œuvre poétique de Cadou (« d’une spiritualité joyeuse ») atteste d’une quête intérieure, d’un cheminement intime vers une sorte de grâce. Durant toute sa (courte) vie, René Guy Cadou a été travaillé par la question de Dieu et la façon dont il le voit n’a jamais cessé de se transformer. Il nous apparaît en fait comme un croyant pas très catholique, qui croit au mystère, en une religion sans église et sans prêtre. Dieu serait « d’abord une présence à l’intérieur de soi comme à l’intérieur du monde. Une véritable leçon de silence intérieur ». Un Dieu chaud au cœur.

On a parlé de fraternité. On ne pourrait mettre de côté cette fraternité posthume évidente, touchante, lumineuse, avec l’auteur de ce livre, Jean Lavoué…

« Tu n’auras été qu’un passager sur les rives de cette terre/Mais tu l’auras tant aimée avec tous ses bosquets fraternels (…) Tu as été le compagnon secret de toutes ces années/Où le poème poussait en nous sans bruit dans le cordage des blés » (Extraits du long poème de Jean Lavoué qui clôt ce précieux ouvrage).

 

Martine Rouhart