crousse imageJean-Louis Crousse, Dors mon âme, Jacques Flament Editions, 2015

 Six ans après son décès, le poète Jean-Louis Crousse obtient la récompense que son œuvre méritait, la réédition complète de ses œuvres, soit près de quatre cents poèmes écrits de 1978 à 2008. La sortie de l’ouvrage a fait l’objet d’un récital le 18 mai au Théâtre Varia.

De cette œuvre riche et éminemment personnelle, dégageons quelques thèmes. Le premier recueil, Mille gris, donne le ton. Jean-Louis sera le poète de la nuance de l’hésitation, de l’aube ou du crépuscule, ces moments où le jour est encore incertain ou rechigne à céder la place à la nuit. L’incertitude, l’instabilité des choses, thème de prédilection du poète.

Crousse a une manière bien à lui de répartir les mots et les morceaux de phrases, au mépris des règles de la versification. L’effet est saisissant. Le texte se déroule comme une petite musique – de nuit ? – sans tambours, ni trompettes, au gré de sa fantaisie. C’est la vie des choses les plus humbles qui nous est restituée dans un écrin de pure poésie. Ponctuation quasi inexistante : cette eau de source s’écoule sans discontinuer.

Jean-Louis n’ignore pas pour autant les côtés sombres de la vie : séparations, amours impossibles, souffrances, la maladie et la mort qui s’avance peu à peu. Il les traite en petites touches légères, comme pour exorciser ses démons. L’amour et ses aléas est un autre thème favori et bien sûr la femme, les femmes, celles qui ont bercé son enfance et toutes les autres, réelles ou rêvées : L’amour, la femme –j’identifie à dessein l’une à l’autre –, le plus fabuleux voyage, la face mystérieuse, vivante des choses.

Le long hiver, dernier et seul recueil en prose, peut être lu comme un bilan de la vie de l’auteur, où il apparaît tel un jouisseur angoissé, paradoxe et double face de sa personnalité. L’analyse qu’il opère de lui-même débouche sur un parti-pris de sincérité : Dire tout, à mesure que ça vient, traquer ma petite vérité, ou plutôt l’amener à la lumière avec son halo puissant d’ombres.

Après ce dernier livre publié en 2002, Jean-Louis Crousse ne se confiera plus qu’à son Journal qui est repris dans l’ouvrage posthume. Le poète n’a pas résolu ses contradictions, et pourtant il aspire à la quiétude : Quelle torpeur, quel appel en moi à l’indolence ! Tout se ralentit, se ramasse pour les mammifères que nous sommes, fatigués de vivre, mais pas encore de rêver. Il ignore de quelle manière son souhait sera exaucé deux ans plus tard.

Pour nous, famille, amis proches ou lointains, il nous reste à explorer Dors mon âme au titre évocateur. En voyageur averti, plongeons-nous dans cette œuvre dense et légère à la fois pour en exhumer les cristaux, les sédiments, les géodes ou les gemmes.

L’ouvrage, dû à l’initiative de Nicolas Crousse, le fils de Jean-Louis, est complété de divers documents photographiques et de témoignages textuels.

Jacques Goyens