Jean-Loup Seban, La Bergeride, éd. Robert Clerebaut.

Après La Bouquineuriade, voici La Bergeride, spicilège de sonnets antiquisants, prévient la page de garde ornée d’un médaillon représentant un Ancien, assis sur un banc de pierre, et lisant un papyrus. Nous en sommes donc prévenus, il ne s’agit point d’une poésie libre écrite en dégradé, à la perpendiculaire, et à vers blancs, mais d’un recueil (nous avons failli dire une glane), de sonnets savants élaborés dans les règles d’un art établi de longue main par d’éminents Docteurs ès poésies.

Le livre en lui-même est un objet qu’on admire; il intimide par sa couverture cartonnée d’un vert tendre rehaussé d’une étiquette dorée  portant le titre de l’œuvre, le nom de l’auteur, et l’année de son cru en chiffres romains: on le tourne et le retourne avant que de l’ouvrir, ce livre précieux, comme fait un amant qui s’apprête à frapper du heurtoir à la porte de l’élue, et tourne et retourne, révérencieux, dans l’entour de la chère demeure.

On porte discrètement l’objet à la narine et se délecte de l’odeur de bonne encre d’imprimerie à l’ancienne; on ouvre enfin le livre et l’on est pris d’admiration pour le soin apporté à cet ouvrage par le Maître imprimeur en beau caractère Didot.

L’intérieur n’est pas moins impressionnant, dirons-nous, quoi que nous sachions qu’il n’y a que le tissu qui se laisse impressionner. Huit dizains de sonnets d’une perfection technique sans conteste. L’auteur fréquente du beau monde, quelques-uns, dans le fait, des plus illustres personnages que l’Antiquité eût portés en ses flancs: Léandre et Héro, Alphée et Aréthuse, Diane et Endymion, Daphnis et Chloé. Mais aussi l’élégantissime napolitain, le coloriste ferraraisle perlier de Sorrente, le pédantissime Ménage…

Ami du grand Balzac, pédant grammairien

Honorable rival du chantre de Padoue,

On admire tes vers, on les scande, on les loue;

Foin du cruel affront du grand comédien »

Ce quatrain s’appliquerait bien à M.Jean-Loup Seban, n’était son enjôleuse modestie. On l’a dit et répété, son royaume n’est pas de ce monde. Il a élu pour y vivre, plaire et aimer le siècle 18e, grand siècle de la Raison, du beau langage, de la belle diction, de l’éloquence érudite.

MJean-Loup. Seban a décidé de réveiller dans leurs tombeaux quelques grands hommes oubliés, pour leur rendre un hommage qui outrepasse son but, et nous donne occasion d’œuvres originales, où l’on reconnaît le ton de voix de notre ami ; sa verve, son emphase, son enjouement, son invention, sa forge.

Pour le plaisir de la copier et de la lire deux fois, reproduisons ce sonnet de clôture:

LA STELE

Penché sur cette stèle antique et solitaire,

Où repose un grand cœur par le ciel retiré,

J’écoute un nyctalope en ce lieu inspiré

Longuement hululer sa plainte funéraire.

 

Sous les ormes touffus, firmament tutélaire,

Je lis cette épitaphe en ce marbre cendré

Qui m’apprend que ci-gît un poète lauré,

Des Nymphes du Parnasse, amant et mercenaire.

 

S’élevant sans orgueil, ce frêle monument

Rappelle au promeneur le destin d’une lyre

Qui sous des doigts divins a conquis un empire

 

Aurai-je un jour l’honneur d’un pareil ornement?

Tout poète crotté, lors des soirs de délire

Rêve de l’éternité au moindre panégyre.

Marcel Detiège