corbusierJean-Marie Corbusier, La lampe d’hiver, poèmes, frontispice de Dominique Neuforge, Le Taillis Pré, 2015, 130 pp, 12  €.

Une poésie très dense, et, pourrait-on dire, élémentaire, car elle s’appuie fréquemment sur les éléments tels que les concevaient les ancien philosophes, pour les mettre en rapport avec l’homme et la nature qui l’entoure. Plus spécialement, me semble-t-il, Héraclite – tout est fluent, les éléments se rapprochent ou s’éloignent, comme en un grand fleuve; ou bien encore Empédocle, chez qui les opposés se rassemblent ou se séparent périodiquement, sous l’influence de l’amour et de la haine, eux-mêmes bien moins différenciés que l’on pourrait croire. Le temps – la parole, étroitement liés. Ainsi nous dit-il, p.13: La poésie visite le poème et ne s’y attarde pas. Poésie saison brève, où chaque instant est unique et irremplaçable. Ou encore, p.15:  Iront-ils vers d’autres mots/ceux qui parlent/et se taisent à la fois/comme un regard absent/une parole qui désespère. Et il s’agit chaque fois, comme ici dans cette ambiguïté, de ces quelques épis liés qui serrent la gerbe du poème, ainsi refermé à la fois sur son espoir et sa désespérance. Une poésie austère et raffinée, qui interroge les choses jusqu’en leur centre, un équilibre entre le dehors et le dedans.

Il est à la recherche de l’instable, de l’incertain, de ce moment de l’aube ou du crépuscule où les êtres et les choses, en une sorte de brusque soubresaut, soudain basculent pour révéler des horizons insoupçonnés, une béance inattendue entre le corps et ses organes, et les éléments primordiaux. Il dira, p.23: Désamorcer le cœur, ouvrir l’espace de nos mains!/Qui le peut?/Le moindre fil d’ici à là aura jeté le discrédit./Tranché par une main de feu, l’orage a rebondi. Et encore, p.24: Offre le jour à la nuit! Fais silence au seuil de la plaie!/Elle est ton espoir rétracté.//La bouche enfin qui va parler. Et cette sorte d’antinomie, entre l’approche et l’éloignement, me semble essentielle au recueil. Souvent, l’avant-dernier paragraphe, assez court, une seule ligne, est lui-même cette sorte de lien pour la gerbe dont nous parlions, avant l’éclat final, qui est éblouissant. Mais le procédé n’a rien de machinal: plus loin, d’autres formes vont surgir, qui sans être vraiment des formes fixes, créent pour le poème une sorte de cadre assez subtil, rigueur et variété, le stable et le passager. Ainsi, dans Blanc, trouverons-nous des strophes qui se réduisent à quelques mots, comme si le rouge avait été la couleur du sang, de la vie, et blanc, celle de la mort et du néant. Ou bien encore la couleur du feu, celle du fer porté à l’incandescence.

Notons au passage: p.71, L’oubli/dernière trace/de la mémoire. et p.81, ce texte superbe sur la sécheresse de l’été, qui est aussi celle des lèvres, pour finir sur des cris d’enfants. Le quotidien sera celui de l’ennui, de l’attente déçue. Tout est figé dans l’identique, le toujours recommencé. Ainsi nous dira-t-il encore, p. 91: Il nous faudra revenir/Tirer à nous l’avenir de sa pesanteur glauque. Et l’essentiel, me semble-t-il, à la p.99: Tard et sans voix/parle/parle encore/parle à vide/parle même contre/il y a encore de l’inouï/au fond des mots/dans le froid à venir. Volonté de continuer, de recommencer, même si c’est absurde. Sisyphe n’est pas loin.

Viendra enfin la seconde partie, Lamento de l’ombre, p.114:                    la pierre seule/et rien/le mot aura roulé. Et enfin, p.121: Un mot du jour aura parlé. Et le recueil finir sur un coup de tonnerre, venu du soleil.

Chacun de ces textes est un pur chef d’œuvre, sans un mot de trop, tendu vers l’essentiel.

Joseph Bodson