Jean-Marie Corbusier À ras, poèmes, frontispice de Dominique Neuforge, 140 p., 17 €, Le Taillis-Pré, 2023.
Cette mince ligne rouge qui sépare, on ne sait trop si c’est l’aube ou le crépuscule, l’aube qui vient ou la nuit qui commence. Cette lutte, pas à pas, seconde par seconde, éternité contre éternité, cette mince clarté qui vient de quels espaces infinis, morts déjà peut-être depuis des millions d’années. A moins, on ne sait pour quelle lointaine espérance, une vie à venir, une vive et fugitive clarté. Un chant de pêcheurs, dans la nuit, qui s’écarte, et notre effort sans cesse recommencé, pour faire remonter de l’obscur infini cette fugitive clarté.
Chacun de ces poèmes, reprenant, mais sans redites, sans cesse recommencée, sans concessions, sans la moindre mièvrerie, à coups de mots qui sont comme des coups de pics, cette quête d’une fugitive clarté. Comme si chaque mot portait en soi l’étincelle furtive de cette fugitive clarté.
Pas un de ces poèmes qui en soit exempt, la quête se poursuit, infatigablement, mot après mot, lumière sur lumière, à l’ombre de l’obscurité qui s’étend. Et ce froid qui s’étend…
« Rendu par ce froid / à ma réalité / le froid des mots/ je renoue // ces mots levés/ avant leur aube » (p.41)
(…)« autre sol / autre lumière / comme éclat sur le tard / de rien à rien // de rien à rien / nous aurons » // (p.67)
(…) « Lumineuse / sans chaleur // flamme à son terme / dernier sursaut / dans la consolation // jusqu’au sang / tout se garde pour la mort // la vivante // extase enfin / terrestre »
Jusqu’au « J’ai dit » terminal, p.137, comme si c’étaient les derniers mots du passager essoufflé, à l’issue d’un long combat, avec pour seules armes les mots et les silences. Avec les pertes et les recommencements, les monotonies, les découragements et les rages. La volonté d’être et de dire.
Oserons -nous dire, avec le psalmiste, que « le guetteur attend l’aurore » ? Même si cette aurore n’a pas les doigts de rose, même si c’est, encore et toujours, pour dire notre peine et notre joie sur les cailloux de ces chemins qui sont les nôtres?
Joseph Bodson