Jean-Marie Corbusier, De but en blanc, poèmes, frontispice de Dominique Neuforge, éd. Le Taillis-Pré, 2020, 113 pp, 14 €.

Enigme que le titre, aussi bien que l’introduction à la première partie du recueil, qui, visiblement, nous parle d’un décès, d’une sorte de « quittance »: Soleil sans ombre, comme celui d’un autre royaume. Et le titre même du recueil, une expression qui signifie en fait le contraire de ce qu’elle semble vouloir dire. le but, c’est la butte où se place le tireur Et le blanc, c’est la cible, s’agissant dans ce cas de tirs à courte distance. Restent le geste, et le bruit. Mais toujours sans ombre. Comme étant non de l’au-delà, mais seulement d’un monde qui n’est pas le nôtre, un espace derrière nous. Comme si toujours nous devions tirer trop court, et toujours à blanc. Nous allons d’une bribe de mémoire à l’autre et tentons de les unir en un moment d’éternité, seul échec patent à la détresse de toute vie. Allons-nous retomber dans les vieux paradoxes de Zénon, Achille et la tortue?. Moments d’éternité, l’essence même de la poésie, comme Keats le pressentait déjà, mais l’objet lui-même de cette quête a-t-il une ombre, qui permette aux autres de se joindre à lui et de former l’unité? Question très simple, mais en réalité très compliquée, comme toutes les questions simples.

Mais nous savons déjà l’importance qu’aura le blanc. comme dans le frontispice de Dominique Neuforge. Serait-il donc possible de s’échapper du cercle? de la cible?

De courts poèmes, qui sont comme autant de cristaux taillés, polis – par l’usure du temps et la patience du poète. Sans un seul défaut, chaque mot juste, et à sa place. C’est la seule règle infaillible. Point ici d’acrostiches, ou autres frivolités La poésie simple et nue, sans recherches ni complications inutiles. Le rythme suit la main, et la main est comme l’ombre de la pensée. Sans doute allons-nous y retrouver les thèmes déjà évoqués, avec les images qui leur sont propres.

A toi,

Creuser le silence
jusqu’à trouver le geste
au ^plus juste
nous l’aurons accompli
jusqu’au bout.

et, p.18:
Nous sommes partout,
à larges traits de feu
la nuit croule
à travers nos ombres
un espoir blanc
une rafale
le dehors serré contre nous
les murs à peine
nous pâlissons
ce ne sont que des mots
l’ailleurs désespéré.

Nous l’avons dit, importance des couleurs. Un monde abstrait, sans précédents, mais un texte qui appelle la parole, les mots. Et s’il fallait lui trouver des correspondances, c’est plutôt vers certains musiciens, me semble-t-il, qu’il faudrait se tourner, Berg ou Schönberg.
Et puis, page 23:

Une jeune lumière inonde les murs
la table
le bouquet de tulipes blanches
à ne donner
dans son appel encore froid
qu’une terre à modeler
terre
brefs instants indivis
comme la face de l’été
brève occultée
en son trait
rebattu jusqu’à moi.

Un indicatif qui n’est pas un présent, mais plutôt un temps blanc, hors du temps même. Avec l’insistance sur la brièveté. Et les gestes du métier, premiers, les plus élémentaires. Ceux de la création, toujours recommencée. Aliments de l’été. Nous retrouvons d’ailleurs, un peu plus loi, p.24, le thème:

L’été ouvrait l’arche de sa réminiscence.
Je ne peux renoncer à vivre.
(…)
S’accommoder d’un monde qui reste
étranger. Qui le peut?
Dans le coin de la pièce, il y a un
souvenir. Je ne sais plus lequel.

En seconde partie: Ici ou là, le terme, les mots mêmes semblent s’éloigner, se disséminer, et les couleurs assez souvent évoquées, restent le blanc, et le bleu, qui a fait, contrairement à ce que l’on croit, assez tardivement son entrée dans notre peinture. p.59:

Page
qui par fragments
énonce
sur une totalité

la face du vivre

qui clôt le monde
qu’aussitôt
elle ouvre

à frissonner
au-delà d’elle-même

nulle part d’est un ici

Un monde perdu où les notions de lieu, comme tantôt celles de temps, se trouvent bouleversées. Mais voilà que je ne fais plus que redire, en prose et moins bien, ce que la poésie de Jean-Marie Corbusier modèle en termes très clairs, et définitifs, même dans leur incertitude.

Nous lui laisserons donc la parole, pour terminer – s’il est jamais une fin

Et la peur
cloue
la mémoire
ici sur le chemin

les voix sont sans visage
et retombent
appelant le secours
d’un présent immobile.

l’ombre du pas

la marche alors
reprend

Joseph Bodson