Jean-Marie Kajdanski, Vint à l’aveûglète/Au hasard du vent, poèmes,SLLW,Liège 2018

C’est par un heureux hasard qu’il nous est donné de recenser, dans le même numéro, ce recueil de Jean-Marie Kajdanski, et celui d’Emmanuel Heymans, qui a pris la pluie pour thème.

L’un des meilleurs metteurs en scène de notre temps, Stanislavski, conseillait à ses acteurs, quand ils avaient le trac,  la peur d’un trou de mémoire, de fermer les yeux, d’appuyer fermement les pieds sur le sol, et de songer très fort à leur personnage, de s’oublier en lui, en quelque sorte. C’est bien ainsi que procède Jean-Marie Kajdanski, qui se tient là, immobile, dans ses paysages familiers, la tête dans le vent, les pieds comme ancrés dans la terre, jusqu’à devenir lui-même vent, ciel et arbre, tout à la fois. Non pas par une attitude philosophique, une sorte de panthéisme, ou par une sorte d’immersion comme peuvent en provoquer les méditations longues et profondes de certaines religions. Non: simplement le fait d’être là, immobile, comme peut l’être un pêcheur, un oiseleur. Et le reste vient de soi, ces brefs moments où l’éternité s’installe en nous. Brièveté illusoire, contradictoire? Pas sûr, elle est déjà là, enserrée dans le temps,ll faut seulement l’en dégager. Mais écoutons, quand cette nature se fait vivante, aux aguets, dans la peur ou l’embuscade. Si elle pense, si elle parle, rien à redire: nos rêves sont faits de la même étoffe que les siens:

près dèl catwåre as moukes/ l’èrnå i s’ pourlèke/ léves ét mouch’taches// rié d’ nouviô/ pou lés moukes à mièl/ èd’pus dés mile ans/ toudi l’ mème ércète/ ét in-n-érnår/ n’a nié à ète ôte côse/qu’in-n-érnå.

près de la ruche/le renard se pourlèche/babines et moustaches//rien de nouveau/pour les abeilles//depuis toujours/la recette est la même//et un renard/n’a pas à être autre chose/qu’un renard.  (p.42)

De ce calme, de cette patiente observation vont naître une attitude devant la vie, un réalisme teinté d’humour et de grand vent. Ecoutons-le encore un peu:

èl nwit’ i-a fini d’ s’èssan.ner/à ch’t-eûre lés-ôtes-osiôs// ardimint/ cants démêlés// èl jour èsqu’à toudi/ i s’ ralin.ne// i rapant s’ lét tout’t-avô/ d’sus l’ couture// acoute, ravîse/ ch’ést biô/ qu’i dit l’ vérdière.

la nuit a fini de saigner// maintenant les autres oiseaux// à cœur ouvert/ chants mêlés/ le jour partout/ reprend haleine// répand son lait partout/sur le champ// écoute/regarde/ dit le bruant jaune (p.53).

Quoi d’étonnant si le nuage parle au vent, p.36: èn poûsse pus/ qu’i dit l’ nuåje ô vint/ èt vas’ à tuc ét à dalne pousse plus/ dit le nuage au vent/ tu vas de droite à gauche, ou bien encore, p.8: n’alonje nié tant/ èt’ vas come èl vint/ as-égambées d’ sérjant, rallentis ta marche/ ru files comme le vent/tu brûles le pavé.

Vous aussi, j’en suis sûr, mettez le nez dehors, mouillez votre index, et vous verrez: le vent, les oiseaux, l’herbe des prés ont un tas de choses à vous dire. Si vous les écoutez…r

 

Joseph Bodson