Jean-Marie Saëz : Baie Saint-Paul, M.O.M, 2020

En France, chaque année, trois mille personnes disparaissent soudainement, de leur plein gré, sans laisser de trace, sans explication et sont rarement retrouvées.

Il se fait que, par hasard, la même semaine, j’ai pu voir un film et lire un livre sur le même sujet : deux pères de famille, quinquagénaires « sans histoire » disparaissent et ce sont leurs enfants qui sont les plus touchés et les plus actifs dans leur recherche.

On pense aux fugues d’adolescents qui, pour échapper à une éducation trop stricte ou dans le désir de voir le monde, s’en allaient et puis…revenaient. Mai 68 aurait-il renversé la donne ? Des quinquagénaires auraient-ils à présent entendu cet appel du grand large et jouent-ils leur dernière carte pour quitter un monde qui ne répond pas à leurs espérances ?

Le personnage du film ne jouera qu’une fugue mineure et sera bienheureux d’être récupéré par ses enfants.

Quant au livre dont je rends compte ici, il en ira tout autrement. Maître Jean-Michel Dorchamp est un avocat parisien connu et apprécié de tous. Sa vie familiale avait retrouvé un équilibre après le deuil de sa seconde épouse, décédée dans un accident de voiture.

De son premier mariage, étaient nés deux enfants à présent adultes : Camille, une hôtesse de l’air et Pascal, un fils qui réussissait dans les affaires. Dix-sept ans apprès la disparition de son père, il restait persuadé que celui-ci était encore en vie et qu’il le retrouverait. Il fondait cet espoir sur une phrase que son père prononçait de temps en temps, sur le ton de la boutade : « Si je disparais, allez voir à la Baie Saint-Paul. » C’était une petite ville au bord du Saint-Laurent, au Québec, fréquentée par des artistes. Et quand il le pouvait, Pascal s’y rendait, espérant retrouver une piste qui le conduirait à son père, mais en vain.

C’est alors que Camille reçoit une enveloppe étrange, dans laquelle elle lit une invitation à rencontrer le shérif Allan Park, datée de Shorfalls, (Yukon, Canada) Des photos accompagnent l’invitation. On peut y distinguer une cabane enneigée à la façade ornée de raquettes à neige, avec un chien qui avait l’air d’un loup et une malle. Bref, rien qui donne un indice de quoi que ce soit.…

Elle n’en fait pas part à son frère mais, poussée par la curiosité, se décide à partit à la rencontre de ce shérif. Le périple se terminera dans un vieux coucou piloté par un grand indien aux cheveux longs, seul à pouvoir atterrir sur la piste de brousse de Shorfalls.

La rencontre avec le shérif n’apporte guère d’éclaircissement : un vieux trappeur du nom de John Mac Dolan était passé et demandé qu’une enveloppe soit envoyée à l’adresse parisienne de Camille. Il vivait dans une cabane au fond de la forêt, et semblait adopté par les Indiens dont Méo, le pilote, ingénieur diplômé de Toronto. En attendant l’arrivée de Pascal qui avait découvert l’enveloppe brune, Camille apprit de Méo que John Mac Dolan était son frère de sang car ils s’étaient sauvés mutuellement la vie.

Enfin, Pascal arrive. Ils dînent tous ensemble dans le beau chalet de Josépha-Lune, la mère de Méo. C’est là que Camille et Pascal apprennent que ce John est leur père. Un jour où ils avaient trop bu, celui-ci et un trappeur américain s’étaient échangé leur nom. Après quelque temps, l’Américain avait fait savoir à son ami qu’il était rentré, avait retrouvé sa famille et la civilisation et qu’il lui conseillait d’en faire autant.

Mais Jean-Michel Dorchamp portait une plaie à refermer : après le décès de son épouse dans l’accident de voiture, il avait découvert qu’elle le trompait. Il avait alors décidé d’aller en finir dans la « mort blanche », c’est-à dire le corps enseveli sous la neige.

Quand Camille et Pascal arrivent à la cabane avec Méo, leur père est déjà parti mais il avait laissé son journal de bord bien en vue ouvrant toute grand pour que ses enfants prennent connaissance de ses questionnements. Il semble cette fois décidé à quitter les lieux, après dix-sept ans, averti de l’arrivée probable de ses enfants par Méo, Le texte se termine d’ailleurs par « Je vous attends » Et Méo de préciser : à Baie Saint-Paul, comme promis.

Pendant ce temps, Jean-Michel Duchamp s’était mis en route pour Shorfalls où Méo le conduirait à ses enfants. Il avait bien récuré sa cabane et avait mis son journal en vue pour le cas où ses enfants y viendraient. Comme d’habitude, il avait arrêté sa marche et cherché son coin, un creux abrité entre deux blocs orienté plein sud, dans lequel il aimait se caler dans un énorme fauteuil, il avait déplié sa peau d’ours et s’était installé confortablement. Il s’était mis à résumer sa vie : dix-sept ans passés à souffrir. Pourquoi ? Abandonner ses enfants : Pourquoi ? Pendant tout ce temps de réflexion, le froid l’avait saisi. Ses jambes ne répondaient plus. Finalement, il avait compris qu’il allait mourir de la mort blanche, ici maintenant, doucement et sans heurt, dans une nature qu’il aimait, dans son « endroit ». Il sourit, tout questionnement clos. Il n’avait pas eu à choisir. La « vie » avait résolu le dilemme à sa place.

Ce n’était sans doute pas ce que le lecteur attendait vu que le père et ses enfants allaient se retrouver avec joie car ils souhaitaient tous se revoir. Si près du but ! Le lecteur ne peut s’empêcher de ressentir comme une frustration, privé d’un happy end pressenti comme allant de soi. Mais c’est le choix de Jean-Michel Dorchamp seul qui compte, d’où qu’il lui ait été inspiré. On serait prêt, malgré la réticence qu’inspire un proverbe, à accréditer le bien connu « Il n’y a pas de hasard »

Dominique Dumont