salustioJérémie Sallustio, Trois cent trente-trois trous, Lille, Arabesque (The Book Edition), 2014, illustrations d’Emily Falek, 68 p.

Demeurant dans l’aire du chiffre trois (déjà présent dans les titres de ses précédentes parutions), Sallustio poursuit l’élaboration d’une poésie de type bref. Ce ne sont plus cette fois des haïkus. Ce sont des tercets assemblés en trio.

Comme il l’avait pratiqué déjà, le poète cherche une sorte d’équilibre entre concret et abstrait. Les mots charnels, reliés par leur signifié à des sensations, sont souvent complétés par d’autres, plus proches de la réflexion intellectuelle. Les uns et les autres sont mis à portée de vue grâce aux dessins vigoureux de trait et joyeusement polychromes d’Emily Falk, qui sont eux-mêmes une sorte de fusion entre expressionnisme et  abstraction gestuelle.

Ainsi trouvons-nous l’association de sol fécond avec intuition, blé ou chandelle avec spirituel, vin rose avec insignifiance, alphabet avec angoisse, corde à sauter et existence, tréteaux et subterfuge, cavernes et espérance, pendus priapiques et fureur… Il s’agit donc, selon l’auteur, de s’interroger sur la perception, sur ses imperfections, ses insuffisances. Se demander si l’antique concept de beauté en art n’est pas du domaine des illusions. Si le hasard de rencontres inaccoutumées entre vocables crée vraiment de l’inédit, de l’original. Si l’analyse d’une quête systématique de sens à travers mots et concepts ne mène pas au-delà de ce qu’ils sont réellement.

À sa manière, Sallustio pose le problème de ce qui fait polémique dans la poésie d’aujourd’hui. À savoir, le lien nourricier qui devrait lier l’écriture et l’existence de celui qui la pratique.  Faute de quoi, ce serait mystification que de produire des textes, sans dénier pour autant leur possible charme fascinant lié au mensonge, et ce dans la mesure où parfois le fictif a plus de pouvoir évocateur ou mobilisateur que le réel.

Alors, l’injonction de l’écrivain devient : La Vie / Charrie l’harmonie / De votre chaos // Aujourd’hui / Créez / Inspirez // Soyez souffle / Car il faut être / Résolument.  C’est que l’écriture permet sans doute la reconstruction de soi, la réconciliation de l’humain, le passage au-delà des barrages de la conscience, la libération du poids des idoles religieuses ou philosophiques. Voilà ce que disent la petite musique des mots de ce livre et l’imagerie de ses métaphores  couplées aux dessins nerveux de l’illustratrice.

Michel Voiturier