Christian Joosten, Le Jugement de Dieu , roman, éditions Weyrich, collection Noir Corbeau (2021, 17 euros, 202 pages).
Entre crimes commis en Wallonie à l’époque actuelle, du côté de Charleroi et le drame guerrier de Sarajevo entre Serbes et Bosniaques y aurait-il un lien ? Christian Joosten décrit la tragédie de Sarajevo presque en reporter de guerre tant il est crédible dans le ton : « Peu résistante, la porte s’ouvre d’elle-même dans un bruit sourd. Kosma, par un geste de bras, agrandit l’ouverture pour que je puisse bien voir l’ensemble de la pièce. Une salle de bains minable avec du linge pendant et une jeune fille propulsée au sol par deux balles, tenant encore dans sa main gauche la clenche : Putain ! C’est une gosse ! m’écrié -je ».
A plusieurs reprises, le déplacement d’œuvres d’Art permet à l’auteur de mettre en évidence des connaissances culturelles en parallèle avec l’intrigue.
Le flic pensionné, Guillaume Lavallée, reprend du service à l’appel d’un collègue et raconte les faits : « Depuis ma visite, je réfléchis constamment à la maison de Dragan. Imaginant scène et indices, tentant de me souvenir d’éventuelles différences, d’objets bougés, cachés, dérobés. Repenser comme le flic que je ne suis plus. J’ai laissé le tableau sur une chaise dans le salon, ne sachant pas trop ce que j’allais en faire. Où le mettre, ce genre de choses. Et puis je l’ai déplacé, d’abord dans ma cuisine, afin de l’observer pendant mon souper. En tête à tête, je dine une dernière fois avec une partie de l’âme de cet homme si particulier. Je regarde plus attentivement aussi les couches de peinture, les teintes en espérant y voir plus que les nuances de brun, d’ocre et de rouges qui font l’essence même de l’ambiance du sujet ».
Quand l’auteur/narrateur mène de concert l’intrigue, la description très personnelle et le style, il est au sommet de son Art : « Une heure que j’y travaille et un pan seulement est retiré. Comme aimanté, obnubilé, je voulais savoir ce qui se cachait derrière le Jugement de Dieu. J’ai rapporté l’œuvre sur le bord de la table, soulevé délicatement la toile et l’ai éclairée en lumière rasante avec une petite lampe led que je possède. J’ai glissé un doigt, un second et mon cerveau imageait les sensations ressenties, quand soudain…l’impression d’une page qui se soulève. Surpris, je retire la main et éclaire à nouveau la toile sans pour autant y voir quelque chose ».
Reste, in fine, pour les êtres, l’espoir de la reconstruction : « Avant, les gens fuyaient ces lieux ; maintenant, les touristes y viennent et photographient comme si tout ceci n’était qu’un décor de cinéma. Sarajevo se reconstruit sur les fantômes du passé ».
Certaines évocations sont très fortes avec une violence extrême dans les faits et les évènements rendus. L’ambiance m’a parfois fait penser à celle du bédéiste Enki Bilal, né à Belgrade et, lui aussi sensible à la mémoire collective.

Patrick Devaux