Léonie Bischoff,  Anaïs Nin, Sur la mer des mensonges,  Casterman, 2020.

L’auteur de ce splendide roman graphique est de nationalité suisse mais vit et travaille en Belgique, après avoir accompli sa formation artistique à Saint-Luc, à Bruxelles. On lui doit, entre autres, chez Casterman, plusieurs adaptations de polars suédois. Il fallait beaucoup de talent et de subtilité pour sélectionner la quintessence des textes d’Anaïs Nin et imaginer les dialogues les mieux appropriés qui rendraient les phylactères vivants et crédibles. Un défi parfaitement relevé dans un album au dessin raffiné et aux couleurs ensorcelantes, empreintes de riches correspondances sensorielles. Le résultat est magique : un livre comme un bouquet de synesthésie au parfum de jasmin, sur une musique aux accents roses et mauves. La vie et l’œuvre de la romancière et diariste américaine ont fait scandale au siècle dernier (1903-1977) mais nos mentalités ont considérablement évolué et le « mélange des genres » ou la bisexualité sont même devenus un standard contemporain, voire un  objet d’études, étant donné qu’ils se pratiquent assez ouvertement dans notre société permissive.  Un prix littéraire envié rappelle l’œuvre  d’Anaïs Nin, un jardin à Paris dans le 19ème lui est dédié et, comble de la gloire, un cratère de la planète Venus porte joliment son nom. Un nom que l’on associe à celui de son compatriote et complice, Henry Miller, l’écrivain et essayiste américain, plus connu encore qu’elle dans le cercle de la littérature érotique. Le journal intime d’Anaïs (7 tomes) et sa correspondance avec l’auteur du « Tropique du Cancer » ont permis de la connaître sans détours, depuis sa jeunesse troublée et déracinée jusqu’à ses multiples rencontres amoureuses, intellectuelles ou analytiques qui lui ont offert un vaste et fertile terrain de libération sexuelle… Le titre de l’album le dit à suffisance : la séductrice Nin a utilisé le mensonge comme une arme diabolique et l’a élevé au rang de genre littéraire  Sa philosophie pourrait se réduire à cette phrase : Ma morale n’existe que lorsque je suis confrontée à la peine de quelqu’un d’autre. D’où l’usage de la dissimulation pour ne pas blesser les proies qui se laissaient prendre à son art de la séduction. Souffrance aussi de n’être souvent qu’une cible du désir aux yeux des prédateurs… Laissons-lui le mot de la fin, d’une profonde vérité : Le rôle d’un écrivain n’est pas de dire ce que nous pouvons tous dire mais de dire ce que nous sommes incapables de dire.  L’album de Léonie Bischoff a bénéficié d’une aide à la création de la Fédération Wallonie-Bruxelles. 

                                                        Michel Ducobu