Les fines rides du temps de Jean-Luc Werpin (éditions Jacques Flament, 10 euros)

Du « livre pauvre » au « poète pauvre » cité d’emblée par Jean-Luc Werpin, il n’y a sans doute qu’un pas à franchir : celui de la rareté et de la précision que travaille cet habitué des haïkus.
Dans ce recueil, il s’agit cette fois de poésies vivifiées en textes courts.
L’auteur à cette faculté de ramener l’infini à l’instant et la vitesse à la lenteur en quelques mots adroitement placés, ce qui nous donne cette impression de raccourci entre l’atome et le cosmos avec pour priorité l’instant répétitif insistant sur la fugacité de l’existence.
Dans sa préface Martine Rouhart parle « d’évidentes redécouvertes » et, effectivement, avec le contexte, Jean-Luc évide le mot comme on enlèverait les pépins d’un fruit.
La chair en est savourée et les pépins, malgré leur petitesse, ont force de vitalités futures, le mot lui-même étant fouillé jusqu’à l’infime : « …de la page à la phrase/ de la phrase au mot/ du mot à la lettre/ de la lettre au signe/ du signe au néant/ la sérénité ».
Ce n’est cependant pas un « peu » de satisfaction car il peut également se faire sensible : « un chien/ n’être qu’un chien/ un chien sans caresses/ un clabaud céleste/ les crocs plantés/… ».
A force de répéter une sorte de modestie et d’écrire presque sans vouloir déranger, la trace de l’écrit se fait en réalité davantage sillon qu’effacement.
Si les mots « de trop » conduisent parfois à la bouteille vide, le résultat reste serein avec cette image forte de « l’alcool du temps ».
La poésie sert peut-être d’alambic à distiller la pensée de l’auteur parallèlement à son existence conciliante, le poète se présentant lui-même dans l’équilibre et la mesure des choses quand on reconnait bien là le funambule : « un jour/ jour pour jour/ un jour ».
Faire signe et arriver à un résultat affolant à la fois le quotidien et l’imaginaire dans la projection de quelque chose qui n’a pas encore eu lieu : voilà peut-être la démarche de l’auteur.
Une tranquille sérénité parcourt ce livre avec cependant l’intonation du « vrai désir de vivre ».
Le livre est construit autour du mot lui-même où des épisodes de vie – sans doute pas toujours évidents – gravitent autour avec la discrétion des atomes ressentis avec quelque chose qui peut ressembler à de la distanciation voulue, presque à la limite de l’agoraphobie malgré le côté chaleureux évident de l’auteur. Mais le poète n’est-il pas à la fois distant et extrêmement présent quand il hésite « sur cette balançoire où il (je) vit » ?

Patrick Devaux