Line Alexandre, Jeanne derrière la porte, Weyrich, Plumes du coq, 2015, 130 pages.

Une singulière maîtrise de la construction et des procédés romanesques. Si l’on risque un peu, au début, de confondre les noms des personnages, assez vite la structure familiale, essentielle au roman, se dégage, et nous passons sans problème du monologue intérieur de l’un à celui de l’autre, d’un dialogue à un autre. Un monde sans pitié, qui fait songer parfois à celui de Simenon, avec des personnages falots, livrés à leurs instincts, entièrement prisonniers de l’éducation, du milieu social et familial. Lasciate ci Jeanne derrière la porteogni speranza: il faudrait un sursaut qui ne vient jamais. Le père est là, dans sa chambre d’hôpital, qui rumine et remâche ses rancoeurs. Et puis, toutes ces femmes qui l’entourent, à commencer par sa mère, qui l’a trop gâté, le rendant impropre à toute relation vraie.

Une écriture très tendue, hachée presque, parfois, ce qui ajoute encore à l’impression de lourdeur: Jeanne est là, derrière la porte, et qui attend. Quoi? L’argent, bien sûr. Qu’attendre d’autre? Ainsi, p.32: Il se disait, elle, elle voudra des mots (…) Il détestait les femmes qui voulaient des mots. Et de belles trouvailles, comme, p.53: L’ennui, ça ressemble à des charentaises douillettes, laides, laides, qu’on n’arrive pas à quitter le matin pour entrer dans la journée.

Ainsi, en ce roman si méticuleusement construit, le récit se construit-il méthodiquement, par l’évocation de petits faits quotidiens tirés du passé du « héros », un héros bien quelconque. Ainsi, sa colère, p.74, aura pour seul but de prouver qu’il existe, de ne pas sombrer entièrement dans le néant. Et le roman prendra son tournant avec la chute d’un missel, et l’entrée en scène de Christian. Oui, dans toute vie, il y a quelqu’un derrière la porte…Ici aussi, c’est fort bien construit, et le suspense, adroitement ménagé.

Oui, un maître livre…

Joseph Bodson