Lorenzo Cecchi, Paul, je m’appelle Paul, Lilys Editions, 18 euros

Dès les premières phrases du prologue, l’on est happé. Le roman de Lorenzo Cecchi sort vraiment de l’ordinaire. Un roman et en même temps une chronique de vie, une sorte de biographie inventée, basée sur des faits bien réels où sans cesse la fiction s’entremêle à la réalité.
Le roman est construit comme un polar. Des chapitres courts, un style direct, un langage souvent carrément argotique, un rythme cadencé et soutenu, presque stressant par moment. Le livre débute par la rencontre d’un journaliste critique d’art en mal d’argent, et d’un peintre qui n’a plus beaucoup de temps devant lui et voudrait faire parler de ses œuvres. Lors de cette entrevue, le journaliste apprend qu’il est le frère de son interlocuteur et que celui-ci n’est autre que… VDB. Le journaliste entreprend d’écrire la vie de ce frère sur base des confidences de celui-ci. La fin nous réserve encore d’autres révélations…
Ce que ce livre nous relate ainsi en filigrane, avec beaucoup de liberté, c’est la vie d’un homme politique belge des années 1960-1970, VDB…, appelé pour les besoins de ce qui demeure bien un roman, Paul Van Derbrug.
On fait donc la connaissance de Paul, petit garçon de 9 ans, seul rescapé d’une intoxication au C02 qui a tué sa famille. Il est pris en charge par sa tante Armelle qui tient à Liège ni plus ni moins qu’un bordel. Plus tard, il devient apprenti boucher auprès d’un couple. Le boucher Lucien est amoureux de lui et sa femme, Léa, la seule peut-être qui aura compté vraiment dans la vie de Paul, sera pour lui à la fois l’amante, la mère et l’âme-sœur. VDB devient ensuite le boucher industriel que l’on connaît, mène une irrésistible ascension sociale et politique jusqu’à devenir ministre, et finit par se faire kidnapper, un moment propice à la convocation des souvenirs et à la réflexion.
On éprouve énormément de tendresse pour les personnages de ce roman. D’abord pour Paul, resté muet un certain temps après le drame qui a tué sa famille, ne sachant que répéter « Paul, je m’appelle Paul », mais pas seulement. Il y a aussi sa tante Armelle, aux manières un peu brutales, mais profondément tendre et généreuse avec son neveu. Mercédès, l’une des « putes » employées au Cupidon, si délicatement attentionnée et pudique avec Paul. Le patron boucher Lucien, secrètement amoureux de son apprenti (son personnage m’a fait penser à la vieille Dora, touchante et pathétique, amoureuse de Monsieur Pierre, dans le roman d’Aragon, Les voyageurs de l’impériale).
Comme dans ses livres précédents, Lorenzo Cecchi sait mettre des mots légers sur des sujets graves. Ce qui rend le roman si attachant, c’est la sensibilité authentique et sincère de l’auteur, et son sens profond de l’humain, que l’on devine partout entre les lignes. Il aime les gens à travers les héros de ses romans. On dirait qu’il sait voir en chacun ce qu’il recèle de fragile et de bon au fond de lui. Il enjambe allègrement les préjugés. Comme avec ce personnage du livre, poignant et qui passerait inaperçu s’il n’y avait Lorenzo : Pedigree, rescapé des camps, raflé par erreur, ramassé ivre dans le caniveau, dépouillé de tout, enfermé dans le vélodrome et dont il ne restait plus aucune trace ni de lui ni de sa famille dans les papiers. « Pour Gentiane, Pedigree est un ivrogne invertébré, une loque humaine. Moi je pense que Pedigree picole pour oublier comment il s’appelle parce que son nom à lui ne lui sert à rien. Mais il n’y arrive pas. Souvent, je l’entends qui hurle dans la rue Je m’appelle Jacques, bande de trous de cul, vous entendez, je m’appelle Jacques ! ».
Beaucoup de réflexions vraies parsèment ce roman, qui font lever la tête un instant et réfléchir…Comme sur la mort, tant il est vrai que l’« On ne cesse de penser à la mort qu’en cessant de penser » (Marcel Conche).
« Je me dis qu’aucune toilette, aucun travestissement n’aurait pu, malgré ses efforts, dissimuler la peine sans borne qui la dévorait ce jour-là. Le chagrin nous rend loqueteux, tellement misérables. Je la pris dans mes bras. »
« Tu penses : Est-ce pour se protéger que l’on oublie le monde d’hier ? Est-ce pour ne pas la regretter que la vie d’avant s’absente avec les jours ? Tu balayes les questions, mais elles reviendront insistantes. Et tu le sais. »

Martine Rouhart