Lorenzo Cecchi, Protection rapprochée, nouvelles, Cactus inébranlable éditions, 2020, ill. Michel Jamsin.

Une personnalité, ce Lorenzo Cecchi. Un ome-tout oute, dirait-on à Liège. Il ne recule devant rien, ne respecte aucun privilège, et trace son chemin tranquillos, sans gêne aucune, à travers les dédales les plus merdiques de cette vie et de cette société. Ce qui ne l’empêche d’avoir du coeur, bien au contraire. Mais il le réserve pour ceux qui le méritent. De courtes nouvelles, des brèves de comptoir ou d’ailleurs, qui finissent bien ou mal, c’est selon. Et tout cela dans un style qui, mine de rien, frôle le classique, par sa clarté, sa concision, sa variété aussi. Mine de rien, tout cela s’appuie sur une culture littéraire très sûre.

Et l’amour, me direz-vous?. Il est là, et du meilleur, du plus tendre dans sa sobriété. Vous voulez un extrait? En voici un:

Maintenant, sur l’asphalte les pneus adhèrent et Mireille relâche un peu sa prise Encore cinq kilomètres et les premières maisons de Fronces apparaîtront. Je voudrais que la route n’en finisse pas. Je pourrais ne pas boire, ne pas manger et rester sur cette bécane pour l’éternité avec Mireille collée à moi. Rien ne peut m’arriver. Le froid ne m’atteint pas malgré mon seul t-shirt. C’est elle, je l’ai toujours su; Mireille est mon âme-soeur. Pour moi c’est clair depuis longtemps. Mais là, c’est plus que certain: nos corps ont parlé. Tôt ou tard, Mireille en aura aussi la révélation. J’aurai des mômes avec Mireille; évident, comme deux et deux font quatre.

Voilà le travail. Il fallait le faire: Yves Montand et Montaigne sur le même vélo…Mais ce n’est pas tout: les surprises, les happy ends ne manquent pas non plus:

Moi, je ne veux rien, sauf un petit bisou peut-être. Je reste là à la regarder. Elle a l’air fâché. Je ne comprends pas pourquoi. Elle s’approche. Je vais l’avoir mon baiser que je me dis. Non, elle soupire puis avance sa main pour défaire ma braguette. Je vous l’avais dit, un chef d’oeuvre de sucré-salé.

Et, dans Non, je ne suis pas parano, les amateurs de belles-lettres sont servis. Garcia Marquez ouvre la partie, d’un revers imparable; Toujours es-t-il que Garcia Marquez a choisi d’être plus fort que le manque et, surtout, plus fort que la plénitude que la cibiche lui procurait. Et puis, c’est celui qui dit je qui écrase Oscar Wilde d’un revers imparable: Mais pourquoi ne puis-je m’arrêter? Pourquoi ne puis-je à mon tour me résoudre à tuer ce que j’aime et qui m’assujettit? Et puis encore, pour les endurcis, en fin de match, une volée de Freud: Et donc  ils m’épient et sont déçus de ne point me voir téter de cigarette (le sein de maman, dirait Freud) et cela me ravit de le faire en cachette, comme quand j’avais quinze ans. Transgresser, quel délice!

Vous en voulez encore? Du saignant, cette fois? Eh bien non, là, il vous faudra acheter le livre. Non mais, c’est quoi, ces manières, de vouloir toujours tout lire par-dessus l’épaule des gens?

Joseph Bodson