Luc Dellisse, Le Sas, Bruxelles/Mons, Traverse/Couleurs Livres, 2019, 158 p. (16€)

Entre présences et absences, l’insolite dans un quotidien décalé

À en croire l’auteur de ces vingt nouvelles, il pourrait bien être « un géomètre du monde invisible », quelqu’un pour qui « la beauté des choses repose tout entière sur la fiction », quelqu’un qui a « toujours su qu’il y avait une autre vie que la vie », qui a « le goût des choses secrètes ».

La plupart des histoires qu’il narre recèlent des thèmes que génèrent des tensions binaires. Ce sont : présence et disparition ; apparence et intériorité ; mutisme et confidence ; attente et impatience ; plein et vide ; dissimulation ou secret ou clandestinité et révélation ; affrontement et fuite. Le passage de l’un de ces éléments à son contraire s’opère parfois de manière inattendue ou en reste à se cantonner dans l’énigme de sa non résolution.

Le lecteur est mené à travers un monde intemporel, là où, peut-être, existait « un état second qui ressemblait à l’après-vie ». Il se retrouve en plein fantastique diffus dans lequel la certitude est incertitude, dans la position d’un des narrateurs qui avoue : « je possédais tous les chiffres de cette histoire mais l’addition ne se faisait pas » car ce qui s’avère mystérieux se révèle logiquement inexplicable.

Même les traces clairsemées d’érotisme ressemblant à celui des tableaux de Balthus qui a inspiré un roman à Nathalie Rheims, ne s’affirment guère résolument. Elles se manifestent plutôt comme « la superposition réussie du sexe et du silence ».

Les femmes qui traversent ces nouvelles sont multiples. Elles ont des identités plus ou moins vagues, quelquefois même de façade : étrangère, banquière ou fonctionnaire de la répression des fraudes fiscales, altermondialiste, quinquagénaire, nièce, logeuse à infaillible mémoire, clandestine de rituels nocturnes, artiste peintre, directrice de théâtre… Les hommes, plus rares, sont aussi imbibés d’une présence énigmatique. Le charme de ce livre appartient à chacun de ces protagonistes fugaces.

Michel Voiturier (13.10.2020)