LUC MOËS, RESSAUTS, Beyaert- Puntgaaf, 2022 , 290 p.

Un moine est, par définition et étymologie, un homme seul. Le père Luc, moine bénédictin de l’abbaye de Maredsous, écrit, chaque jour de sa vie, et communique de la sorte avec beaucoup de monde. D’abord par les textes qu’il envoie régulièrement par mails, par les livres ensuite qu’il publie. Sept volumes, chacun précédé d’un titre court, un mot unique et rare sur la page de couverture, suivi de centaines de proses ou de poèmes. Et si, par bonheur, vous le rencontrez dans les allées de l’abbaye, il vous parlera du huitième qui est en chantier.
Le dernier opus porte logiquement une enseigne énigmatique : Ressauts. Un terme d’architecture, désignant une saillie de pierre sur une façade, souvent monumentale. Transposons pour le profane : un moment particulier, une émotion, un souvenir, tout événement, même très intime, qui a du relief et mérite un arrêt, un retour sur soi-même, une page ou plusieurs sur le clavier du soir, au cœur du grand silence qui règne autour du cloître. L’ensemble des écritures est, l’on s’en doute, d’inspiration religieuse mais l’ouverture d’esprit est large et aborde avec franchise et bienveillance les problèmes de tout un chacun. Ce ne sont point des Epitres ou un nouvel Evangile selon saint Luc, mais un assortiment d’écrits, nous dit l’auteur, destinés à nous toucher autant qu’à nous livrer un cœur d’homme, sensible à tout ce qui se déroule autour de lui, dans le monde et dans son alcôve personnelle. La matière des jours autant que la grâce de l’immatériel.
Mémorialiste, moraliste ou diariste, franchissant allègrement les bornes attrayantes de la retraite et du nonchaloir, il nous propose dans cet épais volume près de deux cents entrées, classées par ordre alphabétique. Aucune ne se dérobe à la réflexion, au commentaire subtil ou malicieux, ironique ou débordant d’empathie. Jugez de la variété de ses sources d’intérêt : on y évoque tour à tour la célébration, le fantasme, la métempsychose, le paradis, la gourmandise, les brocolis, le germoir, l’automate, les caves ou encore le ressac, le petit-déjeuner ou la vinaigrette. L’homme a un œil sur tout, le menu ou le sublime, le sacré ou le prosaïque, l’ancien ou le réseau social à la mode, la campagne wallonne de son enfance ou les collines nostalgiques du Rwanda où il exerça son ministère durant de longues années. On va, reconnaît-il lui-même, de surprise en surprise, d’une rive à l’autre du quotidien, d’un versant fleuri au désarroi ou au désert de la solitude et de la souffrance. Il nous conseille toutefois de lire son ouvrage d’une manière très libre, sans suivre un impérieux fil rouge car ce sont avant tout des échappées, des rencontres, des souvenirs, des parenthèses familières, des arrêts devant un parterre, une pause au cœur d’un jardin, au milieu d’un hall de gare où l’on croise un regard qui vous émeut.
C’est à la hauteur du mot « humanisme » que le lecteur cerne le mieux la pensée et l’idéal du moine philosophe. Humanistes et humanitaires de tous les pays, clame-t-il, unissez-vous, que vous soyez croyants ou non, pourvu que vous soyez constamment attentifs au respect de la dignité humaine et soucieux de pratiquer la clairvoyance, l’intégrité et la générosité. Fidèles à une Alliance d’essence divine ou frères humains unis par la solidarité et la recherche de la paix sur terre, braves chevaliers de la vie, combattants résolus face à ceux qui se réclament obstinément d’un Dieu seul qui est leur mobile, ils se poseront la même question au sujet de l’intégrisme aveugle : Veulent-ils dire qu’il ne s’agit que d’eux seuls ? Le jeu de mots est d’importance et est fermement adressé aux partisans du règne inique de la pensée unique.
Une pensée courageuse et originale, traduite dans un style qui n’épouse pas le modèle parallèle de l’écriture unique. S’appuyant sur une phrase de Saint-Exupéry qui revendique la différence de chacun, signe d’enrichissement, il l’applique à sa propre manière de s’exprimer, à l’ancienne parfois et très ornée, qui l’accompagne comme un gage de fidélité à des valeurs qu’il chérit parce que la qualité du dire, à ses yeux, doit refléter aussi la délicatesse et l’élégance du sentiment.

Michel Ducobu