Lumière des limites de David Jauzion-Graverolles éditions Le Coudrier (2021, 18 euros).
Gravures de Nadia Kuprina

La poésie serait elle cette inconnue habitant la présence ?
L’auteur serait-il inscrit au monde avec sur lui la tache d’ombre qui révèle un secret promené de part en part du recueil ? L’auteur semble emporté dans des signes qui lui échappent : « longtemps il fallait dire/ avec cette autre langue/ que personne ne savait/ sinon soi-même derrière le miroir ».
Miroir il y a et, de son expérience du monde du spectacle, David a le sens du reflet.
La lumière exprimée reste très sauvage, non maîtrisée, fait partie intégrante de la nature : « chaque théâtre d’eau/ sous les ombres/ reçoit les cris/ des soleils écervelés ».
La lumière se veut géographique, presque cartographiée quand, fidèle à son destin, elle touche au but, involontaire et révèle par ce qu’elle atteint : « La mer multiplie la lumière/ et te la rend au centuple/ en tes possibilités d’être », le dernier vers révélant l’intensité et l’humanité de l’être possible quand l’ombre ou l’absence se fait mystérieuse ou fantomatique entre deux portes de lumière récrivant « les âmes arraisonnées ».
Il faut rêver le voyage. Le rendre possible d’une lumière à l’autre.
Le recueil semble positionné avec quelques épingles sur une mappemonde imaginaire ou non.
Qui sait vraiment quand nous imaginons quand « tout reflet est une chasse au trésor » ?
La poésie elle-même aurait elle « changé de sens » quand l’auteur participe à la rotation de l’écrit ?
Le mouvement, bien dans l’époque, constate parfois l’amère conclusion : « Ici commence/ un temps de pénurie/ à la mesure inverse/ de nos excès ».
La ville devient celle des insectes « entre les buis consommés/ d’une civilisation en ruines ».
Nature victorieuse au prix du doute : « On n’osait plus ouvrir la bouche/ de peur de dire des mots inconnus/ que seuls les arbres comprendraient ».
Quand « le corps se réduit à l’action mesurée » s’installe une prise de conscience de n’être que de passage, voire vulnérable.
Le recueil semble écrit dans un concept « d’après monde ». C’est une prophétie et une profession de foi, les brillantes illustrations de Nadia Kuprina oscillant, en noir et blanc, entre impression de « QR code » et bris de paille séchée, étant elles aussi empreintes d’un avertissement globalement tu comme si les mots ou les signes avaient en eux la force de dire.
Ce poète n’est pas bavard mais parlant. C’est fort différent !
Quand, à Bruxelles ou ailleurs, l’auteur nous rappelle ce « quelque chose disparu qui nous hante », on le devine sur une trace et ce n’est pas pour rien qu’un texte est dédicacé au souvenir de Brel.
Dans chaque texte il y a le rappel aux éléments et très fortement l’élément marin : « Ta vie se change en eau puis s’évapore ».
Le ton et le contexte m’ont parfois fait penser à Barjavel, cet autre prophète plutôt, lui, prosateur.

Patrick Devaux