Lumière du livre suivi de Rose noire/Eric Brogniet; frontispice de Bernard Gilbert ; Châtelineau : Le Taillis Pré, 2021
A l’heure où l’économie a capturé la vie et en a mystifié la réalité vivante ; à l’heure où l’individu n’est plus qu’un objet fini à qui i l est enlevé toute possibilité de dévoilement du réel ; à l’heure, enfin, où on ne voit plus ce qui est mais ce qui sert, la poésie peut constituer un moyen d’échapper à ce monde simulé et de contrer l’image morale de la pensée, du monde et d’un soi rempli de certitudes aveuglantes(La poésie est dans ce qui n’est pas, dans ce qui nous manque, dans ce que nous voudrions qui fut, elle est en nous à cause de ce que nous ne sommes pas/Pierre Reverdy).
Le grand solstice nourrit la terre
Les hommes créent des puces
Mutantes : tout est sous contrôle
La Bourse est à la hausse
A travers ce recueil, Eric Brogniet nous met précisément en présence d’une poésie qui tourne autour de la question de l’effondrement du monde, traque ce que la vie dissimule, évoque la difficulté d’être, fustige notre existence de complaisance et combat la mort vivante qui se représente à nous quotidiennement. En effet, tout ici, nous rappelle que le langage, la vie voire les mots n’ont pas de stabilité universelle ; tout ici, interroge et célèbre ce que d’habitude notre attention néglige ; tout ici, enfin, nous rappelle que nous avons perdu notre nature première et que seul le poème est à même d’ouvrir en notre être qui se croit achevé une béance.(l’œuvre d’Eric Brogniet aborde la poésie en tant que Verbe porteur de pouvoirs/Jacques Crickillon).
Un grand silence effleure une à une
Les pages du livre de la forêt
Alors seulement il se met à parler
Et raconte une histoire enchantée
En bref, dans ce livre, Brogniet questionne le monde et ses représentations, marque son angoisse devant la fuite du temps qui semble priver les choses de toute consistance et nous met en présence d’une écriture qui engendre une sensibilité autre, cherche l’ossature charnelle du monde et porte tous nos désirs en des lieux où la raison s’incline.
Les amants s’aiment à quatre mains
Tandis qu’au loin le peintre
Donne formes et couleurs
Aux fruits de leur extase
Le poème est semblable
Au vol du papillon
Toujours imprévisible
Il déclenche parfois de petits cataclysmes
L’enfance, c’est à la fin des beaux jours
Ce goût de pomme sûre
Et le parfum des roses dans un jardin
Ouvert sur des rêves défaits
Pierre Schroven