Maison Losseau – Petits éditeurs, grands alternateurs

Publié le 21 octobre 2016 | Par No

L’exposition « Regards de travers » réalisée en collaboration par la Maison Losseau et la haute école Condorcet est visible jusqu’au 20/11/2016 au 39 de la rue de Nimy à Mons. Infos : +32 65 39 88 80 ou www.maisonlosseau.be

Petits éditeurs, grands alternateurs

Parmi les actions que mènent la Maison Losseau, antenne provinciale de notre littérature, il y a la mise en valeur des petits éditeurs, ceux dont on parle peu mais qui effectuent, sans publicité tapageuse, un travail essentiel : publier des écrits qui ne sont pas des livres inscrits dans la ligne fade d’une culture politiquement correcte.

Pour les relier avec le passé, d’abord, un retour sur une revue française satirique qui brilla, au début du XXe siècle par son impertinence, L’Assiette au beurre, aïeule de Charlie Hebdo et de Hara Kiri, revue dont la collection complète est conservée à Mons et dont on pourra bientôt feuilleter virtuellement les pages. Elle se caractérise notamment par des illustrations en quadrichromie signées Forain, Caran d’Ache, Poulbot, Steinlen et autres caricaturistes.

À l’autre bout du temps, la plus jeune maison d’édition est Le Cactus inébranlable, installé à Amougies, qui édite aussi, depuis les attentats contre Charlie Hebdo, un mensuel intitulé Même pas peur dans lequel sévissent des caricaturistes comme Sondron ou Kroll ainsi que Clette, Lombardo, Burion, Kanar… Mais la part essentielle, ce sont de petits livres la plupart du temps consacrés aux aphorismes (Tougaux, Legge, Pittau, Querton, Delhalle, Stas …) ou des contes brefs (Dejaeger, inédits de Sternberg, Dalcq…).

Plus ancien, le Daily Bul a vu le jour à La Louvière en 1957 avec pour géniteurs, André Balthazar (1934-2014) et Pol Bury (1922-2005). Il a son musée dans sa ville natale et une rue qui porte son nom ; il poursuit ses actions de manière épisodique. Sa collection la plus célèbre, celle des Poquettes volantes, sont de mini-livres auxquels ont collaboré Alechinski, Folon, Topor, Dotremont, Chavée, les frères Piqueray… La dérision y est pratiquée dans un esprit hérité des surréalistes mais non inféodé à leurs théories.

El batia mourt sou (Le bateau ivre) est un journal satirique qui sévit depuis 1995 dans la région montoise et s’évertue à dire des vérités qui fâchent sans aucune censure. Il est le petit frère des aînés que sont Charlie Hebdo et Siné Mensuel. C’est ainsi qu’on y trouve les signatures du prophète du changement Raoul Vaneigem, de l’entarteur Noël Godin, de l’acide collagiste André Stas, du poète rebelle Claude Bauwens, du Jacques Dapoz publiant l’an dernier un pamphlet à propos de Mons capitale culturelle, d’un Alexis Leclef qui tient la rubrique ‘PoPo’ (science politique popularisée).

On citera encore Xavier Canonne bouillant directeur du musée de la Photographie, feu Jean-François Lermusiaux grande gueule en chaise roulante et quantité d’autres collaborateurs plus ou moins occasionnels. Quant aux dessinateurs, tous aussi caustiques les uns que les autres, ils s’appellent Philippe Decressac, Antonio Cossu, Claire Kirkpatrick, Fred Blin…, ils disent en images au moins autant que les autres en mots avec un impact visuel direct.

Les éditions du Cerisier se consacrent à l’humain, donc au social. Installées à Cuesmes, elles produisent depuis 1985 des livres de témoignages, des romans ancrés dans la vie quotidienne, des polars avec un arrière-plan de critique sociétale, des essais politiques, du théâtre engagé. L’aventure a commencé avec le célèbre Rue des Italiens de Girolamo Santocono. 

C’est un peu la mémoire des progressistes qui se sont battus et se battent encore en vue de changer un monde de moins en moins humain. C’est le reflet des luttes démocratiques pour une équité et une solidarité porteuses d’avenir.

Couleur livres est issue de feu Vie ouvrière dont, en 2001, elle a pris, en quelque sorte la succession. Ses bouquins sont des réflexions sur la société et son évolution mais aussi des témoignages de citoyens qui n’ont pas nécessairement la parole au quotidien. On y trouve les signatures d’Ane Morelli, Michel Graindorge, Ricardo Petrella… Un des derniers parus est consacré à L’allocation universelle ; un autre défend une volonté de dialogue communautaire, Scènes de ménage à trois que signe l’éditorialiste flamand Hugo Foneyn.

Trimestriel né voici à peine deux années, Médor (les yeux ouverts), est l’enfant d’une coopérative de rédacteurs qui veulent relancer une presse d’investigation totalement indépendante. C’est tellement le cas que le premier numéro a failli ne pas être distribué puisqu’une société pharmaceutique a tenté de le faire saisir. La justice, au nom de la liberté d’expression en a heureusement décidé autrement. Depuis lors ce magazine poursuit son travail d’information sans tabous.

Né à peu près à la même époque, 24h01, magazine de grands reportages d’environ 200 pages propose des sujets de réflexion, des bandes dessinées, des photos inédites en vue de réfléchir sur notre environnement socio-politique en prenant le temps de se documenter et d’écrire. Un antidote puissant contre l’info minute à laquelle radio et télé nous ont trop accoutumés. Les 6 numéros parus ont traité entre autres du service militaire, de la prison, du climat, de la noblesse, du foot… Le prochain est annoncé pour mars 2017.

Enraciné à Mouscron, L’âne qui butine, animé par Anne Létoré et Christof Bruneel, est l’abord un lieu de recherches. L’aspect esthétique des productions est toujours le plus innovant possible et les tirages sont volontairement réduits. Un véritable artisanat à l’inverse des pratiques commerciales habituelles du rendement quantitatif.

Michel Voiturier (21/10/2016)