Marcel Procureur, Les charmes de Berthe, Editions Encre Rouge, 2020

Nous retrouvons dans ces Charmes de Berthe la disposition de Marcel Procureur à recréer un univers, celui d’un milieu rural des années cinquante pour lequel il semble éprouver un profond attachement. C’était le temps où des hommes en sarreau s’affairaient sur les terres, des femmes, foulard au vent, pépiaient autour des gerbes de paille, et des enfants espiègles se chamaillaient à l’ombre des tracteurs et des chariots. Cet univers est aussi constitué d’une palette de personnages truculents. Autour de quelques figures principales gravitent un curé, un notaire et sa servante, un médecin, un pharmacien, une tenancière de bistrot, une coiffeuse, un peintre … et j’en passe, tous croqués à grands traits, mais non sans humour.

Ensuite vient l’intrigue construite avec habileté autour d’un différend typiquement rural : l’achat d’un terrain par la commune en vue de faciliter la construction d’égouts. C’est l’occasion pour l’auteur d’évoquer les mesquineries de la politique locale et les travers de ses acteurs, qu’ils soient maire ou simples citoyens. Le déroulement va de rebondissements en rebondissements en passant par de savoureuses péripéties, telles que le concours de la crêpe gourmande ou le voyage de noces du notaire. Le lecteur est ainsi mené de fil en aiguille vers un dénouement en apothéose, les élections municipales, qui consacre la victoire du bon sens sur les funestes compromissions. Car tout finit bien au royaume de Trémousol, que l’on ne peut s’empêcher de rapprocher du célèbre village de Trignolles cher à Arthur Masson.

L’écriture du roman mérite aussi qu’on s’y attarde. J’avais déjà noté dans Les beaux jours (2011) le souci de Marcel Procureur de décrire les lieux dans une langue riche de toutes les composantes grammaticales : Il arrêta sa monture devant une grille qui l’accueillit battants ouverts. Des abeilles, tout au long d’une allée bordée de rosiers, bavardèrent en sa compagnie jusqu’au seuil d’une porte de chêne frappée de lourdes ferrures décoratives. Nicolas fit tintinnabuler une clochette égarée parmi le feuillage d’un chèvrefeuille. L’auteur raffole des adjectifs, des compléments du nom, des comparaisons et des métaphores qui parfois s’étirent en de longues personnifications.

Les dialogues ne sont pas oubliés pour autant. Généralement brefs, ils participent à la vie des personnages et au sel de l’intrigue. Quant à la narration, troisième élément de cette trilogie de la composition, elle relie le tout. Elle est particulièrement savoureuse aux temps forts, par exemple lorsqu’elle stigmatise les angoisses d’un Nicolas malade aussi bien d’un excès de crêpes que d’une situation cauchemardesque où il s’est enferré : Après quoi, tenant à pleines mains son ventre adipeux, moite, agité de soubresauts, il rejoignit son lit et les bigoudis de Berthe accrochés, tels des barbelés, au parapet du gouffre au fond duquel il n’était heureusement pas tombé.

Tout ceci compose un roman qui fleure bon la campagne au temps où hommes et femmes occupaient leurs jours par le labeur et de saines distractions, dans l’ignorance des réseaux sociaux et de l’agitation du monde moderne.

Jacques Goyens