Marie-Thérèse Bodart, Les Meubles, Bruxelles, Samsa/Académie royale de Langue et de Littérature françaises, 2014, 84 p.

meubles

La réédition de ce roman paru en 1972, le dernier de l’œuvre de Marie-Thérèse Bodart, est à qualifier d’hypnotique. C’est celui d’une famille qui, après avoir explosé, implose. Une famille renfermée sur elle et ses possessions. Car les biens possédés – terrains et maisons, entreprise et hypothèques qui s’y rattachent – relient les protagonistes et les lient. Les membres du clan sont à couteaux tirés entre les mâles arrogants autant que sexistes et les femelles asservies mais cultivant le goût de la révolte et de la provocation, entre les maîtres incompétents et les opportunistes serviteurs. Même si certains ont contact avec le monde extérieur, le huis clos subsiste dont, semble-t-il, on ne s’évade vraiment que par la mort.

Alors que tout finit peu à peu par se déglinguer, ne subsiste qu’un attachement matérialiste obsessionnel. Et cet attachement, au prétexte de conserver les meubles afin de les revendre pour retrouver un peu de l’argent dilapidé en mauvaise gestion et en gaspillage, est évidemment illusoire puisque leur conservation n’est en rien assurée compte tenu des conditions d’entreposage.

Ce bref roman emporte. Pour des raisons externes, comme le souligne Jean-Luc Wauthier dans la préface. Parce que son atmosphère étrange, étouffante à cause de la présence permanente de corneilles, fait inévitablement penser à la nouvelle de Daphne du Maurier qui inspira Hitchcock pour son film « Les Oiseaux ». Parce que l’envahissement de l’espace par le mobilier ramène inexorablement à l’Ionesco de « Les Chaises ». Pour des raisons internes aussi, parce que lorsque grandit la part accordée aux dialogues et soliloques, le ton utilisé n’est pas sans accointance avec le meilleur de Materlinck dramaturge.

Après le patrimoine matériel, l’esprit est attaqué. Le déséquilibre mental joue les mérules. Insidieusement les personnages avencent vers leur propre perte selon un destin forcément tragique dans cet univers où l’innocence se nomme en réalité aveuglement et impuissance.

Michel Voiturier