Martine Rouhart, textes; Jackie Fourmiès, photos: Saisir l’instant, éd. Feuillage, 2020. Préface de Jean Lavoué.

Saisir l’instant! Quel beau titre, et quelle patience cela demande! Disons de suite que ce livre est le fruit d’une heureuse rencontre, que chez la photographe comme chez la poète, il y a ce sentiment profond de la nature, cette patience infinie qui permet de saisir la goutte d’eau au moment où elle va quitter sa branche, la mésange aux aguets dans son pommier, prête à s’envoler à la première alarme. Et nous trouvons la même patience, le même sens des nuances chez Martine Rouhart, lorsqu’elle écrit, p.40:

 

 

La dernière feuille qui tombe

légèreté
gravité
dans le même geste
ralenti
de danse

on dirait
une feuille
qui pense

ou qui se souvient

Martine Rouhart possède ce sens profond de l’unité du monde, de l’homme à l’oiseau, au ciel, à la terre, à tout ce qui l’entoure, qui est le sens intime, l’essence même de la poésie. Et s’approcher de ce mystère, arriver à l’exprimer avec des mots simples, à ras de terre, sans excessive complications morphologiques ou stylistiques, c’est une qualité majeure chez un poète.
Un sens de la nature qui est, répétons-le, partagé en profondeur par Jacqueline Fourmiès, la photographe: il s’agit ici de bien plus qu’une parenté de hasard, d’une véritable symbiose dans l’approche de l’univers naturel. Le préfacier, Jean Lavoué, l’a senti d’emblée: Merveille lorsque la lumière du poème épouse à ce point le regard contemplatif d’une photographe! C’est le petit miracle que nous offre ce magnifique ouvrage tout entier dédié à la beauté! On se laisse facilement aimanter par le silence entourant cette oeuvre à deux voix. Une simplicité saisissante, comme si tout y coulait de source (…) C’est avec une âme de peintre que Jackie Fourmiès se laisse toucher par l’inépuisable spectacle de la nature; le poème de Martine Rouhart vient en rehausser la trame pure d’une fine touche de lumière.
En quelques mots, tout est dit: la lumière est bien l’élément essentiel de la poésie de Martine, sa trame, si l’on veut, rarement absente de son paysage intérieur: souvenir de soleil (p.1o), creuser le fond / de son être / pour réparer / la lumière / et s’y sentir / chez soi (p.14). Mais cette lumière ne va pas sans ombres, qu’il s’agisse de celles des nuages, de l’insomnie ou du chagrin. Il faut parfois recourir à la lumière intérieure pour en éclairer un ciel brumeux. Et ne sommes-nous pas le rêve d’un autre, le rêve peut-être d’un oiseau, d’un pavot, d’une fourmi, p.26:
Nous sommes tous/ le rêve / de quelqu’un / la fleur / jaune soleil / d’une autre vie.
Les vraies joies, le vrai bonheur se trouvent à l’intérieur de nous.
Les vraies joies, le vrai bonheur, c’est au plus intime de nous-mêmes qu’ils sont cachés, mais c’est au contact de la nature que nous pouvons les réveiller. Ou bien, parfois, ce sont nos joies les plus intimes qui servent de révélateur au spectacle de la nature, qui viennent lui prêter leur lumière propre, en éclairer les contours: La dernière feuille/qui tombe // légèreté / gravité / dans le même geste / ralenti / de danse // on dirait / une feuille / qui pense // ou qui se souvient. (p.40)
Et ce sont ainsi les petites choses / répétitives / de la vie qui deviennent les joies véritables. Maeterlinck, dans Le trésor des humbles, n’avait pas dit autre chose. Et c’est bien loin d’être une vue un peu courte: c’est au contraire l’appel à une participation pleine et entière à la vie du monde. Nous en avons bien besoin, en ces temps de détresse. Qu’elle en soit ici remerciée.

Joseph Bodson
I