Matière des soirs de Philippe Leuckx, poèmes, éditions Le Coudrier, photographies de Philippe Colmant, préface de Jean-Michel Aubevert  (2023, 66 pages, 18 euros).

Tout en rappelant l’écriture et la photo avec les repères de Perec et de Doisneau, Philippe tente de faire surgir la lumière à partir de la moindre lueur jusqu’à traquer le réverbère même s’il «regarde sans voir ».
Avec les ombres, le jour et la nuit semblent parfois se confondre tandis que, le soir tombé, la chambre close guette un rideau qui bouge.
On sait Philippe sensible « aux petits riens qui délogent le cœur ». Avec une sensibilité à fleur de peau son ouïe poétique est permanente à guetter l’écho, ce qui rend la mise en scène poétique parfois à la limite du scénario. Nous pouvons, en effet, mettre sa poésie en images et se l’approprier de la même façon qu’on regarde un film ou un album de photos tant l’effet est prenant à déterminer tantôt la nostalgie, tantôt l’évènement passé. Tout lui fait office de souvenirs. Parfois il s’en délecte, parfois il s’en attriste ,notamment quand le soir se fait matière de sa solitude tandis qu’avec le temps il ne sera sans doute pas le seul à « croiser ce qu’on aurait pu être ».
Si vivre c’est aller « souvent vers les bords », les souvenirs lui font office de centrifugeuse à se recentrer sur l’essentiel possible enclin à vaincre « toutes les pauvres ombres ».
Tandis que la lumière « manque (parfois) comme un baiser », elle trouve son écho dans les photographies complices de Philippe Colmant suscitant le Yin et le Yang avec la lune cachée et le soleil pour alternances, autant de possibilités à envisager la dualité entre l’ombre et la lumière très présentes dans ce recueil où la présence non dite est partout entre les lignes et à qui Philippe tend « les mains trop grandes/ pour ce si peu à cueillir/dans l’ombre ». Mains partageuses comme l’est sa poésie.
Chacun retrouvera dans ce recueil ses propres « reliefs invisibles du vécu » où la nostalgie évoquée n’a d’égale que le souvenir omniprésent.

Patrick Devaux