Michel Ducobu, « Seul & Seule », roman, éditions M.E.O (2024,142 pages,17€)

Entre deux solitudes, l’espace à remplir

Dès le titre, le lecteur est averti. Puisque seul et son féminin seule sont imprimés avec une majuscule sur la couverture, il s’agira de deux personnes dont ce pourrait être le prénom ou le patronyme. Donc n’importe qui parmi les humains. L’image de cette couverture semble bien les concrétiser dans l’anonymat de leur dos, leur regard, invisible, étant tourné vers l’intérieur du roman.
Par contre, la liste des pronoms personnels qui constituent le titre des différents chapitres à la table des matières sont écrits avec une minuscule. Cette fois, ils semblent indiquer plutôt que les points de vue qui seront exprimés sont ceux soit d’un individu par ou à propos d’un particulier, soit d’une communauté.

Le moi narrateur du chapitre introductif (qui serait aussi bien le romancier qu’un de ses personnages fictifs, ambiguïté qui ne sera que partiellement levée) pose d’abord la thématique originelle. Celle du quatrième âge qui constitue aujourd’hui une part non négligeable de la population de nos pays privilégiés. Celle de ceux et celles qui « ont du style à défaut d’avoir encore l’âge photogénique ». La question étant : comment trouver encore des plaisirs dans une existence qui va, de toute façon, irrémédiablement vers sa fin et risque de se déliter dans la solitude.
Notre « moi » des premières pages sera dès lors l’écrivain ; il l’affirme : il se situera « dans une fiction assez proche de la réalité ». Et ce qu’il narrera sera « un point à l’endroit, un point à l’envers. Du pour et du contre. Du saisissant et de l’insaisissable. » Dès lors, son écriture s’en accommode en articulant des phrases autour de la conjonction mais qui marque l’opposition, la restriction, l’exclusion.

Après quelques hypothèses teintées d’autodérision, il choisit d’adoucir sa solitude par le sexe. Commence par des rencontres tarifées, continue par des « entretiens de débauche » en fonction d’agences matrimoniales. Pas facile car « à force d’être seul au monde, on finit par être soi-même un monde ». Jusqu’au jour où…

La deuxième partie du roman sera dévolue à elle. La première qui l’ait fait vibrer. Avec une attention délicate, Ducobu décrit les perceptions d’une femme que la vie a parfois souillée. Il suit avec tendresse ses hésitations et ses incertitudes. Il la confronte aux heurts, aux malentendus, aux ruptures provisoires. Il nous donne en partage ses craintes d’avoir en héritage, outre le souvenir pesant d’un père maitrisant mal ses pulsions, une maladie dégénérescente.

La suite, c’est l’autre protagoniste, lui, dont nous apprenons qu’il s’appelle Frédéric et, par la même occasion, qu’elle se nomme Marie. Il désire accomplir un exploit qui épate son amoureuse, quitte à prendre des risques mortels. Vient alors la partie du nous, celle du couple qui goûte le plaisir du plaisir car l’âge ne freine pas les ardeurs. Succède alors un il, rencontre avec le père d’elle. Un autre point de vue se pointe, celui de eux, les deux réunis en couple bien décidé à savourer le temps qui reste à vivre.

La fin est plutôt abrupte. Avec une pointe d’amertume. C’est que Frédéric est pleinement conscient de l’absurdité de la vie. Parce que, pour lui « la vraie vie est un leurre. […] Vivre est absurde et l’être humain a bien du mérite de s’y livrer. Tu es arrivé par hasard, tu deviens par nécessité et tu disparais sans prévenir. » Ce que nous avaient appris jadis Sartre ou Camus. Reste que Ducobu nous confie aussi par la voix de Frédéric : « « si je tiens à savoir le plus possible, découvrir, retenir, chercher encore, c’est parce que de cette façon je ne pense pas trop et meurs moins vite. ».
Quant à l’équivoque liée au travail de l’écrivain présente en filigrane à travers tout le livre, il s’en explique en la nommant « Le paradoxe du romancier ». Il confesse alors : « Tu crois être dans le vrai quand tu arrêtes de vivre et que tu te mets à nu sur le papier et puis, comme il faut bien que tu en sortes, tu inventes un épisode. C’est infernal, inextricable. Tu veux atteindre la vérité et tu patauges dans l’artifice.»

Michel Voiturier