Michèle Vilet, 80 pages, Jollain, Déjeuners sur l’Herbe, 2018, 262 p.(25€)
Page à pages, une obstination à vivre
Lorsqu’on atteint les 80 ans, quoi de plus normal, surtout lorsqu’on est écrivaine, de faire le point de son existence dans un livre. C’est à cela que Michèle Vilet s’est attelée. Elle a choisi le récit mais en lui donnant un petit aspect fictionnel. En fait, les noms des protagonistes et certains toponymes ont été changés. Le style a été allégé pour éviter trop d’effets. Mais elle a ajouté, comme des respirations particulières, la présence de références à des cartes du tarot lorsque ce qu’elles évoquent a un rapport avec les événements vécus.
Ainsi, le Bateleur est le lien avec l’envie de raconter. L’Amoureux sera témoin du désir et de la sexualité. Le Juge intérieur accompagne les remises en cause des modèles donnés par l’éducation et la société. L’Impératrice sera à la fois image de séductrice et de sécurité affective. L’Empereur symbolise le pouvoir viril dans une époque plutôt machiste. La Papesse, par contre, suggère d’aller au-delà des contraintes imposées. La Maison-Dieu à la tour foudroyée accompagne avortement, rupture, trahison, ébranlement des certitudes. Le Diable vient révéler les dualités des individus. Le Pendu s’annonce quand il faut se dépouiller des habitudes et la Métamorphose le complète pour aller au-delà. Peut-être en étant d’abord confronté à l’Ermite de la solitude et de la méditation. L’Étoile confirme le besoin de créer, de célébrer la vie. Enfin, le Jugement sera grille ouverte : à la maturité, elle accorde la créativité comme dynamique retrouvée.
Michèle Vilet parsème, çà et là, des réflexions à propos de l’écriture, de la difficulté à poursuivre un long travail de remémoration. « Est-ce de l’écriture ? C’est tellement brut. C’est matière à roman… mais ce n’et pas un roman que je veux écrire. Dans un roman, on invente, on transforme, on ouvre toute grande la porte à la fiction, on crée personnages, lieux, situations. » De toute façon, elle affirme : « […] je sens que ma vie n’aura de sens que si je recours à l’écriture pour l’exprimer. »
À travers les années de 1936 à 2016, elle égrène des moments de vie. C’est en 1958 que sa narratrice constate « que le fil rouge de l’écriture émerge pour de bon dans le canevas de ma vie ». Elle livre son vécu. Il est celui de famille plutôt nantie avec les naissances et les décès, les enfances et les âges qui passent d’une décennie à la suivante, les ruptures et les connivences, les difficiles ou impossibles remises en question, les bonheurs et les déchirements, ainsi ce dernier amour si lumineux mais dévoré par Alzheimer. Les routines aussi, comme les vacances toujours un peu similaires.
Les lecteurs y retrouveront en filigrane le décor du monde, ses remous, ses guerres, ses progrès, ses erreurs. Ils suivront la narratrice dans ses découvertes culturelles de films, de bouquins, de musiques, d’art, de spectacles. Ils se remémoreront les évolutions sociétales dans les mœurs, la pédagogie puisque la profession d’enseignant y tient place importante. Ils accompagneront des personnes proches d’eux en qui, parfois, ils se reconnaîtront. Il leur reste sans doute à faire leur la conclusion de celle qui persiste à rester une femme dynamique ayant acquis sa liberté intérieure : « Mon recours, c’est d’écrire. C’est de lire les auteurs que j’aime. Écrire que tout est changeant, de jour en jour, de mois en mois, d’année en année. La recherche de la juste tonalité est au centre de la vie de tout créateur. Travailler à éloigner l’abattement en moi et autour de moi. Par fraternité. »
Michel Voiturier